La Régente noire
facile et immédiate : il avait ordonné le transfert des otages dans une triste forteresse, le château de Villalpando, et confié leur existence, déjà austère, à la surveillance très sévère du capitaine de Peralta. Du jour au lendemain, tout l’entourage français des jeunes princes leur avait été retiré ; plus de trente gentilshommes s’étaient vus incarcérer sur place !
L’été venu, la régente avait envoyé aux nouvelles un espion qui, se révélant malhabile, ne put guère tirer de renseignements sur la vie des otages. Mais ce qu’il en apprit ne relevait pas encore de la catastrophe... Confinés, certes, souvent privés de grand air et toujours d’exercice, il semblait néanmoins qu’ils eussent recouvré un état de semi-liberté, incluant l’assistance aux offices du village et quelques chasses au vol.
Or, aux yeux de Charles Quint, ce régime-là semblait encore trop doux ! L’empereur ordonna que les Enfants de France fussent transférés au sommet de la redoutable forteresse de Pedrazza de la Sierra, tour imposante, entourée d’un ravin. Éléonore, ultime contact des otages avec la civilisation et ses douceurs, se vit interdire toute visite.
C’est alors que commença vraiment, pour François et Henri, la vie de prison – avec ses brimades, ses frustrations, et les séquelles indélébiles qu’elle engendre sur les psychismes.
Pour des petits prisonniers âgés respectivement de dix et huit ans, la seule vraie distraction possible était devenue la lecture. En castillan... Lors d’un transfert de quelques semaines à Castelnovo, non loin de Ségovie, ils étaient tombés sur une édition attrayante et magique du grand roman espagnol : Amadis de Gaule 29 . L’ouvrage, enrichi de superbes gravures, racontait une histoire parlante pour le dauphin captif et son petit frère : on y suivait, au fil de récits volontiers fantastiques, les aventures des deux fils aînés du roi de Périon, Amadis et Galaor, exilés contre leur gré en terre hostile, étrangère... Amadis se trouvait protégé par la fée Urgande qui veillait sur lui du haut de l’Empyrée – une fée si belle et si sage que le temps, sur elle, n’avait pas de prise.
Henri, plus tenace que François et beaucoup plus à l’aise que lui dans la langue espagnole, faisait généralement la lecture, et parfois même la traduction. Quand il abordait un passage décrivant Urgande, il ne pouvait s’empêcher de la parer de vertus et d’attributs plus extraordinaires que ceux du texte.
— Cette Urgande, avoua-t-il un jour à son grand frère, elle me fait songer à quelqu’un.
— Ah oui ? Et à qui donc ?
— Tu ne le devines pas toi-même ? Elle me fait penser à « Maman Brézé ».
Et c’est ainsi que la grande sénéchale, sans se douter de rien, à des centaines de lieues de distance, se mit à peupler les rêves d’un futur roi de neuf ans.
Cambrai, hôtel Saint-Pol.
L es Cambraisiens, forts de leur position neutre entre l’Empire et la France, avaient pris, depuis vingt ans, l’habitude d’héberger des rencontres, le plus souvent officieuses, entre diplomates des deux camps. C’était à chaque fois une fierté pour eux. Aussi, par un crachin inhabituel en ce début d’été, est-ce avec joie qu’ils se massèrent sur le trajet de la délégation française jusqu’à l’hôtel Saint-Pol, où devait résider Mme Louise.
Les litières de la régente, de la reine de Navarre et de leurs dames, parées de belles étoffes, sommées d’aigrettes blanches, les montures de toute leur suite, l’équipement des hommes d’armes, même les chariots débordant de fournitures, tout cela faisait un spectacle dont l’homme de la rue semblait ne jamais se lasser. On applaudit la reine Marguerite lorsque, avec un soin tout maternel, elle fit distribuer des petits pains à la population... On se mit sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir la vieille régente, toute percluse de rhumatismes, lorsque ses dames, écartant enfin les rideaux de la litière, l’aidèrent à en descendre pour gagner ses appartements. Certains n’hésitèrent pas à siffler et caqueter quand ils virent paraître, plus radieuse que jamais, la fameuse Anne d’Heilly, promue favorite du roi de France, et que Madame avait entraînée à sa suite, afin qu’elle ne demeurât pas seule avec son fils. On peut apprécier une jeune personne et se méfier des initiatives qu’elle pourrait
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