La Régente noire
aurait-il pas là motif de guerre ?
— De guerre, dites-vous ?
La régente eut un éclat de rire assez méchant.
— Mon cher Duprat, l’empereur, quand il le voudrait, ne pourrait simplement plus nous déclarer la guerre.
— Non, madame ?
— Non. Car nous avons, vous et moi, bien travaillé. L’Empire, je vous l’annonce, est maintenant totalement isolé. De Londres à Istanbul, nos alliés d’aujourd’hui ne demanderaient pas mieux que de le tailler en pièces !
Madame respira profondément sur ces derniers mots. Levant les yeux par-delà le chancelier, elle se calma dans la contemplation des vignes que dorait le couchant. Une fois encore, Duprat brisa cette harmonie.
— Et les otages, madame ? Que faites-vous des otages ?
Le visage de Louise de Savoie se rembrunit. Elle soupira, chercha sa canne, tendit la main vers une dame qui la soutint, tandis qu’elle se levait en grimaçant de douleur.
— L’empereur doit savoir, déclara-t-elle, que nous sommes prêts, naturellement, à lui verser une rançon. Non seulement pour les princes François et Henri, qu’il détient contre tout sentiment humain, mais aussi pour qu’il autorise la reine Éléonore à regagner son nouveau pays. Une telle rançon, j’en suis consciente, ne saurait être médiocre... Vingt mille écus d’or vous paraissent-ils une somme suffisante ?
— Vingt mille écus d’or ?
Le chancelier ouvrait des yeux sans cesse plus ronds. Cette somme lui paraissait trop forte. La régente explosa.
— Monsieur Duprat ! À combien chiffrez-vous donc la valeur des deux premiers princes du sang de France ?
— Madame...
— À combien ? Dites ! Répondez !
En Louise, le sentiment combiné de l’impuissance et de la culpabilité venait de trouver un exutoire dans cette colère dont le chancelier faisait à présent les frais. Colère qui aurait pu durer longtemps, si la mère du roi n’avait été trahie, dans son élan, par une santé de plus en plus déficiente. Colère qui vint mourir dans une quinte de toux.
Angoulême .
L a fin du mois d’avril avait vu se renforcer nettement la position de la France. Munie de la bénédiction papale, une alliance – la ligue de Cognac – unirait secrètement autour des lys, entre autres, le royaume de Naples, le duché de Milan, la république de Venise, mais aussi l’Angleterre... Officiellement, le roi Henry VIII s’était offusqué de voir Charles Quint préférer, pour épouse, une princesse portugaise à sa propre sœur, Catherine. En vérité, l’Angleterre ne faisait qu’appliquer, une fois de plus, sa politique d’équilibre continental : l’empereur devenant trop puissant, il lui paraissait nécessaire de compenser cette force montante.
Or, au moment même où la rumeur se répandait, de la nouvelle alliance, l’Europe allait apprendre qu’à Dijon, les États de Bourgogne avaient manifesté une farouche opposition à toute initiative de cession ! L’empereur avait donc perdu sur tous les fronts ; sa victoire milanaise n’était plus qu’un souvenir sans force. Ne lui restaient que les otages.
Charles Quint, soucieux de conserver cet ultime moyen de pression, fit savoir qu’il refusait l’idée d’une simple rançon. Cette riposte irrita François I er .
— Puisqu’il veut la guerre, estima le roi, nous allons la lui donner.
Et c’est pour conférer plus de poids à cette menace que la ligue fut rendue publique, à Angoulême, le 21 juin. On en proclama solennellement la constitution dans le chœur de l’église Saint-Dominique.
L’après-dînée même, une grande chasse fut donnée en forêt de Braconne. C’était la première de la saison pour le cerf, et l’on avait eu le temps, depuis Blois, de faire venir bâches et planches pour les pavillons, par dizaines de chariots, tous attelés à six chevaux ! Une centaine d’archers à pied s’était chargée de dresser le village de toile, à quoi les enseignes, les plumets, les ornements de vives couleurs, conféraient un air de vie et de richesse indescriptible.
Ce fut une belle chasse, sous un ciel bleu pur, dans l’écho multiple des grandes trompes. Le lieutenant de vénerie, les douze veneurs à cheval, les innombrables valets de limiers et de chiens courants secondèrent les chasseurs, tandis qu’une armée de laquais tendait d’immenses filets où vint se prendre le gibier. Les ambassadeurs étrangers, aussi bien alliés qu’ennemis, furent plus
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