La règle de quatre
conclut-il.
C’était la seule chose que j’avais besoin d’entendre.
Paul se remit au travail. Je crus sincèrement qu’il y arriverait seul. Il résolut la quatrième énigme, celle qui m’avait tant coûté, en moins de trois jours. Je le soupçonnai d’avoir su dès le début comment procéder et de ne m’en avoir rien dit, conscient que je ne l’écouterais pas. Il trouva la réponse dans Hieroglyphica, un ouvrage qui circulait dans l’Italie du Quattrocento. Son auteur, Horapollon, prétendait résoudre les problèmes que soulevait depuis toujours l’interprétation des hiéroglyphes égyptiens. Les humanistes le prenaient pour une sorte de savant alexandrin, alors qu’il s’agissait en réalité d’un érudit du V e siècle, qui écrivait en grec et en savait aussi long sur les hiéroglyphes que les Inuits sur l’été. Certains des symboles de sa Hieroglyphica évoquent des animaux qui n’existaient même pas en Égypte. Malgré tout, la ferveur humaniste pour toute nouvelle science aidant, le livre connut un grand succès, du moins dans les cercles restreints férus de langues mortes.
L’oiseau de nuit symbolisait la mort, affirmait Horapollon, « car l’oiseau de nuit fonce soudainement sur les jeunes corbeaux, comme la mort prend l’homme sans s’annoncer ». L’aigle au bec déformé était un vieillard mourant de faim, « car lorsque l’aigle prend de l’âge, il se tord le bec et meurt de faim ». Enfin, le glyphe du coléoptère aveugle symbolisait un homme succombant à une insolation, « car le coléoptère périt lorsque le soleil l’aveugle ». Aussi abscons que fût le raisonnement d’Horapollon, Paul devina qu’il était tombé sur la bonne source et déduisit ce que les trois animaux avaient en commun : la mort. En se servant, comme clef, du mot latin mors, il retranscrivit aisément le quatrième message de Colonna.
Toi qui viens de si loin, tu côtoies à présent les philosophes de mon temps, qui, là d’où tu viens, ne sont plus que poussière mais étaient, à mon époque, les géants de l’humanité. Je te ferai bientôt porter le fardeau de ce qu’il te reste à apprendre, car il y a beaucoup à dire et je crains que mon secret ne s’ébruite trop facilement. Toutefois, pour te montrer que j’admire ce que tu as déjà accompli, je t’offrirai d’abord le début de mon histoire. Ainsi, tu sauras que je ne t’ai pas conduit aussi loin en vain.
Un prêcheur, natif de la terre de mes frères, poursuit de sa haine les amoureux du savoir. Nous avons lutté contre lui de toutes nos forces. Pourtant, cet homme seul a réussi à dresser nos compatriotes contre nous. Il tempête sur les tribunes, poussant les peuples de toutes les nations à nous anéantir. Tout comme Il réduisit à néant, dans son courroux jaloux, la tour de la vallée de Shinéar que les hommes voulaient élever jusqu’au ciel, Dieu abat son ire sur nous, qui tentons la même chose. Jadis, j’espérais que les hommes chercheraient à se délivrer de l’ignorance, comme les esclaves rêvent de se libérer de leurs chaînes. Contraire à notre nature, la servitude offense notre dignité. Mais je découvre que la race des hommes est lâche, semblable à l’oiseau nocturne de mon énigme qui, plutôt que de jouir du soleil, préfère le voisinage des ténèbres. Tu ne sauras plus rien de moi, lecteur, avant que je n’aie achevé ma crypte. Etre le prince d’un tel peuple ne vaut guère mieux que de mendier dans son propre château. Ce livre sera mon unique enfant ; puisse-t-il vivre longtemps et bien te servir.
Paul s’y attarda à peine et se consacra plutôt à la solution de la dernière énigme, celle qu’il avait élucidée pendant que je travaillais sur la quatrième. Où se rencontrent l’âme et le sang ?
— C’est la question philosophique la plus ancienne abordée dansl’ Hypnerotomachia, me dit-il pendant que je me préparais à sortir pour passer la nuit chez Katie.
— Quoi donc ?
— La fusion entre l’esprit et la chair, la dualité âme-corps. On la trouve chez saint Augustin, dans le De Genesi contra Manichaeos. Et aussi dans la philosophie moderne. Descartes pensait que l’âme se logeait dans le cerveau, près de la glande pinéale.
Il continua, tout en feuilletant un livre emprunté à la Firestone, à m’entretenir de philosophie pendant que je faisais mon sac.
— Qu’est-ce que tu lis ? demandai-je, prenant sur
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