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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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trois respirent, mais Aristote affirme que les insectes n’inhalent pas. Aucun des trois ne tire un enseignement de ses erreurs, car, dit Aristote, si « beaucoup d’animaux ont une forme de mémoire… aucune créature, l’homme excepté, n’est capable de se souvenir volontairement du passé ». L’homme, non plus, n’en retient pas toujours la leçon. D’une certaine façon, nous sommes tous des coléoptères aveugles et des oiseaux de nuit.
    Le 4 mars, un jeudi, j’atteignis le niveau maximum sur l’échelle du temps consacré à l’ Hypnerotomachia . Je planchai quatorze heures d’affilée sur des traités d’histoire naturelle de la Renaissance et couvris vingt et une pages de notes serrées. Je n’assistai à aucun cours, avalai mes trois repas dans ma chambre et dormis exactement trois heures et demie cette nuit-là. Je n’avais pas ouvert Frankenstein depuis des semaines. Les seules autres pensées qui me traversaient parfois l’esprit tournaient autour de Katie, ce qui m’encourageait à m’enfoncer davantage dans cette folie. La maîtrise absolue de soi a quelque chose d’enivrant. Cela dit, je ne fis pratiquement aucun progrès, durant cette période, dans la résolution de l’énigme.
    — Ferme tes livres, m’ordonna finalement Charlie le vendredi soir, d’un ton autoritaire. Tu t’es regardé dans la glace ?
    Il m’avait attrapé par le col et traîné devant un miroir.
    — Je vais très bien, répliquai-je, feignant de ne pas voir le loup qui me dévisageait, hirsute, les yeux rouges et le museau luisant.
    Prenant le parti de Charlie, Gil pénétra dans ma chambre, ce qu’il n’avait pas fait depuis des semaines.
    — Tu as une mine affreuse ! Et puis elle veut te parler. Arrête de faire l’imbécile.
    — Je ne fais pas l’imbécile. Je suis occupé, c’est tout.
    Charlie grimaça.
    — À quoi ? Au mémoire de Paul ?
    Je lui jetai un regard mauvais, en espérant que Paul prendrait ma défense. Il n’en fit rien. Il attendait depuis plus d’une semaine, persuadé que j’avançais, que j’étais sur le point de trouver la solution de l’énigme et qu’il fallait me laisser poursuivre, même si cela m’épuisait.
    — On va à Blair, déclara Gil, parlant du concert a cappella qui, tous les vendredis, réunissait des étudiants de Princeton sous l’arche de Blair Hall Tower.
    — Tous les quatre, insista Charlie.
    Gil referma doucement le livre posé à côté de moi.
    — Katie sera là. Je lui ai dit que tu viendrais.
    J’ouvris de nouveau le livre en rétorquant que je n’irais pas. Il me lança un regard furieux dont je me souviendrais longtemps : un de ceux qu’il réservait à Parker Hasset ou aux imbéciles qui, pendant les cours, faisaient les pitres sans savoir quand s’arrêter.
    — Tu viens, affirma Charlie en s’avançant vers moi.
    Gil secoua la tête.
    — Laisse tomber. On s’en va.
    Je restai seul.
     
    Ce n’était pas de l’entêtement ou de l’orgueil, ni même un dévouement aveugle envers Colonna qui me retenait de les accompagner sous l’arche de Blair. C’était, je crois, le chagrin et le sentiment de la défaite. J’aimais Katie, mais j’aimais aussi, d’un autre amour, l’ Hypnerotomachia. Sur les deux tableaux, j’avais échoué. En partant, Paul m’avait lancé un coup d’œil éloquent : que j’en fusse conscient ou non, j’avais perdu le combat contre l’énigme. Je lus aussi, dans l’expression de Gil, une certitude : ce combat, je l’avais également perdu avec Katie. En regardant une gravure de l’ Hypnerotomachia , la même qui, un mois plus tard, illustrerait la conférence de Taft — celle de Cupidon conduisant, dans la forêt, des femmes attelées à un char en flammes —, je songeai à la gravure d’Augustin Carrache. À mon tour de recevoir les flèches d’un chérubin sous les yeux de mes deux amours. Voilà ce que mon père cherchait à me dire, l’enseignement qu’il espérait me transmettre. « L’Amour est trop puissant. Si fortes que soient nos souffrances, elles ne l’entament pas. »
    « Rien n’est plus difficile à regarder en face, avait confié un jour Richard Curry à Paul, que la vieillesse et l’échec. De toute façon, c’est la même chose. La perfection est la conséquence naturelle de l’éternité. Avec le temps, tout finit par atteindre son apogée. Le charbon se transforme en diamant, le sable en perles et les singes deviennent des hommes. Mais

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