Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
Vom Netzwerk:
raconté ce qui s’était passé. Comment va ton épaule ?
    — Pas trop mal. Il a parlé de Charlie ?
    — Un peu.
    — Et alors ?
    — Il va mieux qu’à son arrivée.
    Quelque chose dans son intonation me fait craindre le pire.
    — Qu’est-ce qui cloche ?
    — Rien, répond-il finalement. Tu as vu les flics ?
    — Oui. Paul aussi les a vus. Tu sais où il est ?
    — Dans la salle d’attente. Avec Richard Curry.
    Je me glisse péniblement hors du lit.
    — Ah bon ? Comment se fait-il qu’il soit là ?
    Gil frissonne à la vue du plateau repas.
    — Tu veux que je t’aide ?
    — M’aider ?
    — Oui. À t’habiller.
    Je ne suis pas sûr qu’il plaisante.
    — Je me débrouillerai.
    Il sourit tandis que je lutte pour m’extraire de mon pyjama d’hôpital.
    — Allons voir Charlie, dis-je, m’habituant de nouveau à mes pieds.
    Gil hésite.
    — Qu’est-ce qu’il se passe ?
    Il fait une drôle de tête, comme s’il était à la fois gêné et furieux.
    — Hier soir, on s’est vraiment engueulés, Tom.
    — Je sais.
    — Je veux dire : après votre départ. J’ai dit des choses que je n’aurais pas dû dire.
    Je me souviens maintenant que la chambre, ce matin, était parfaitement en ordre. C’est donc pour cette raison que Charlie n’a pas dormi.
    — Ça ne fait rien. Allons le voir.
    — Je ne pense pas qu’il apprécierait de me voir, en ce moment.
    — Bien sûr que si.
    Gil se gratte le nez.
    — De toute façon, les médecins ne veulent pas qu’on le dérange. Je reviendrai plus tard.
    Il sort ses clefs de sa poche. Je le sens triste.
    — Appelle-moi à l’Ivy Club si tu as besoin de quelque chose, conclut-il en tournant la poignée.
    La porte s’ouvre, muette sur ses charnières, et Gil sort.
    Le planton est parti. Même la vieille en fauteuil roulant a disparu. Quelqu’un a emporté le panneau jaune. Gil s’éloigne sans se retourner. Je voudrais ajouter quelque chose, mais il n’est déjà plus là.
     
    Charlie me décrivit un jour les conséquences qu’avaient, jadis, les épidémies sur les relations humaines. Les gens fuyaient les malades et soupçonnaient les bien-portants. Parents et enfants finissaient par ne plus s’asseoir à la même table. Au bout d’un certain temps, tout le corps social s’effondrait. « Pour ne pas être contaminé, il suffit de s’isoler », rétorquai-je, solidaire de ceux qui décampaient pour sauver leur peau. Charlie réagit en me servant, en dix mots, le plus beau plaidoyer en faveur de la médecine, qui, je crois, vaut aussi pour l’amitié : « Peut-être, mais on n’ira pas mieux pour autant. »
    Ce sentiment qui m’a bouleversé lorsque j’ai regardé Gil s’éloigner, et qui m’a fait mûrir aux paroles de Charlie, je l’éprouve de nouveau en pénétrant dans la salle d’attente. Paul est assis dans un coin, tout seul : nous sommes seuls dans cette aventure, lui et moi, et pour le pire. Isolé au milieu d’une rangée de chaises de plastique, il fixe le sol en se tenant la tête, courbé, les coudes calés sur les genoux, les doigts noués derrière le crâne. Combien de fois l’ai-je surpris dans cette position au milieu de la nuit, devant sa table de travail, penché sur ses notes, dans la lumière voilée d’une vieille lampe…
    Je brûle de lui demander ce qu’il a trouvé dans le journal. Même après tout ce qui est arrivé, je veux savoir ; je veux l’aider ; je veux lui rappeler notre ancienne alliance pour qu’il se sente moins seul. Mais en le voyant penché ainsi, occupé à réfléchir, absorbé dans ses pensées, je me souviens de tous ces matins où nous le retrouvions les yeux injectés de sang, ces nuits où nous lui apportions un café noir du bistro d’à côté. Si on fait le compte de ses sacrifices pour le livre de Colonna, si on les chiffre comme un prisonnier inscrit des marques au mur de sa cellule, la petite dose de sueur que j’y ai consacrée ne pèsera pas lourd dans la balance. Ce qu’il désirait par-dessus tout, voilà quelques mois, c’était une réelle complicité. Je la lui ai refusée. Maintenant, je ne peux lui offrir que ma présence.
    — Salut, dis-je doucement, en m’approchant de lui.
    — Tom !
    Il a les yeux rouges.
    — Ça va ?
    — Oui, répond-il en se frottant le visage. Et toi, tu tiens le coup ?
    — Ça ira.
    Avant que je puisse évoquer la visite de Gil, un jeune médecin portant un mince collier de barbe entre

Weitere Kostenlose Bücher