La règle de quatre
le maintenir éveillé. J’entends enfin des pas dans le tunnel. Un rai de lumière fuse dans le brouillard et un homme en blanc, puis deux, accourent dans ma direction. Je distingue leur visage. Un des secouristes éclaire Charlie avec sa torche.
— Nom de Dieu ! s’écrie-t-il.
— Vous êtes blessé ? demande l’autre en me palpant.
Sa question me surprend. Mais, en examinant mon ventre dans le rond de lumière de la torche, je comprends. Tout à l’heure, ce n’était pas de l’eau qu’il y avait sur la poitrine de Charlie. Je suis couvert de son sang.
Les deux hommes de l’équipe de secours s’efforcent de le soulever. Un troisième arrive pour leur prêter main-forte. Je le repousse : je veux rester près de Charlie. Lentement, je me sens glisser dans les limbes. Dans la chaleur étouffante, je perds peu à peu mon emprise sur la réalité. Une paire de mains me guide vers la sortie. J’aperçois les deux proctors, flanqués de deux policiers qui les ont rejoints.
J’ai le temps, avant de m’évanouir, de discerner l’expression du proctor qui me voit émerger de l’obscurité, couvert de sang. Sur son visage, le soulagement s’est mué en horreur. Il vient de se rendre compte que ce sang n’est pas le mien.
Chapitre 20
Je me réveille dans un lit d’hôpital, plusieurs heures après l’accident. Assis à mon chevet, Paul sourit quand j’ouvre les yeux. Un policier en faction garde l’entrée de la chambre. Je porte une tunique de papier qui fait un bruit de couche quand je m’assois. J’ai du sang séché sous les ongles. Une odeur familière me saute à la gorge : celle de la maladie qui, mêlée à des relents de désinfectant, me ramène des années en arrière.
— Tom ?
J’essaie de me soulever, mais une douleur aiguë me vrille le bras.
— Attention, dit Paul en se penchant sur moi. Tu es blessé à l’épaule.
— Mais où étais-tu passé ?
Revenant lentement à la réalité, je localise ma douleur, sous le bandage.
— Après l’explosion, m’explique Paul, je n’ai pas pu faire demi-tour pour aider Charlie. La vapeur s’échappait dans ma direction. Ensuite, je suis revenu en empruntant la sortie la plus proche et je suis tombé sur les flics, qui m’ont conduit ici.
— Où est Charlie ?
— Aux urgences. On ne peut pas le voir.
Il a la voix éteinte. Il se frotte les yeux, puis se tourne vers la porte. Une vieille femme fonce dans le couloir sur un fauteuil roulant, aussi agile qu’un gamin en roller. Le flic ne sourit pas. Un petit panneau jaune, sur le linoléum, prévient les visiteurs : ATTENTION : SURFACE MOUILLÉE .
— Comment va-t-il ?
Paul garde les yeux sur la porte.
— Je ne sais pas. Will m’a dit qu’ils l’avaient trouvé a côté du tuyau.
— Will ?
— Will Clay, le copain de Charlie.
Il pose sa main sur la traverse du lit.
— C’est lui qui t’a sorti de là.
J’essaie de me rappeler, mais je ne vois que des silhouettes aux contours éclairés par des torches.
— Il a remplacé Charlie quand vous êtes partis à ma recherche, précise Paul.
Sa voix s’est remplie de tristesse. Il se sent responsable de tout ce qui s’est passé.
— Tu veux que je prévienne Katie ?
— Merci. Je l’appellerai plus tard, dis-je, préférant attendre de reprendre pied.
La vieille femme passe encore une fois devant la chambre. Sa jambe gauche est plâtrée jusqu’aux orteils. Elle est décoiffée, ses pantalons sont roulés au-dessus des genoux, mais elle lance un sourire de défi au policier, l’œil plein de malice, comme si cette transgression la ravissait. Charlie m’a raconté un jour que les patients en gériatrie étaient parfois soulagés de souffrir de petits bobos, comme si le fait de perdre une bataille prouvait qu’ils étaient quand même en train de gagner la guerre.
Je suis soudain frappé par l’absence de Charlie, par le vide là où je m’attends à entendre sa voix.
— Il a dû perdre beaucoup de sang, dis-je.
Paul scrute ses mains. J’entends une respiration sifflante derrière le rideau qui me sépare du lit voisin. Une femme médecin entre dans la chambre. Le policier effleure la manche de sa blouse blanche. Ils échangent quelques mots.
— Thomas ? murmure-t-elle en s’approchant du lit, un dossier à la main et les sourcils froncés.
— Oui ?
Elle contourne le lit pour examiner mon bras.
— Je suis le Dr Jansen. Comment vous
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