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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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ce fut une erreur. Il voulait m’offrir la caisse qu’il rêvait de posséder à mon âge. Il me parle comme si j’étais quelqu’un d’autre.
    Il a raison. Il n’est plus cet étudiant de première année qui laissait son pantalon flotter au sommet de Nassau Hall. À présent, il est plus réfléchi, plus circonspect. Au premier abord, on pourrait croire qu’il sait tout et que tout l’intéresse. Sa manière de s’exprimer et son autorité, acquises à l’Ivy Club, se sont affirmées. Ses tenues vestimentaires sont plus sages et ses cheveux, qu’il a toujours portés assez longs pour qu’on le remarque, ne sont plus jamais ébouriffés. De plus, et c’est tout un art, on ne sait jamais quand il les a coupés. Il a pris du poids, ce qui lui confère un autre genre de séduction, disons un peu plus affectée. Quant aux petites excentricités ramenées d’Exeter, la bague à l’auriculaire, le clou dans l’oreille, elles ont disparu.
    — J’attendrai la dernière minute. Je déciderai au moment du diplôme. Ce sera quelque chose de spontané, d’inattendu. L’architecture, peut-être… Ou alors je recommencerai à naviguer.
    Il se change, retire son pantalon de laine sans comprendre qu’il a devant lui un parfait inconnu, un homme que ce nouveau Gil, celui qui se trouve devant moi en ce moment, n’a jamais rencontré. Sans doute suis-je, à mes propres yeux, un inconnu qui n’a jamais réussi à voir l’être que Katie, hier, a attendu toute la nuit, le modèle le plus récent de ma personne, ce moi de la dernière dépêche. Cherchez l’erreur, le paradoxe : les grenouilles, les puits et l’étrange histoire de Tom Sullivan qui, se regardant dans un miroir, n’aperçut que son passé…
    — Un homme entre dans un bar, dit Gil. Il est nu comme un ver et a un canard sur la tête. Le barman lui dit : « Carl, c’est bizarre, tu n’es pas comme d’habitude. » Le canard hoche la tête et répond : « Harry, si je t’expliquais, tu ne me croirais pas. »
    Je me demande pourquoi il me raconte cette blague. Peut-être veut-il me faire comprendre que nous l’avons tous pris pour ce qu’il n’est pas. La Saab, c’était l’idée que nous avions de lui et nous nous sommes trompés. Gil incarne l’imprévisible, la spontanéité. Un architecte, un marin, un canard…
    — Tu sais ce que j’écoutais, l’autre jour à la radio ? Après ma rupture avec Anna ?
    — Sinatra, dis-je, tout en sachant que c’est faux.
    — Non. De la samba. Je suis tombé sur Radio Princeton. On passait de la musique latino ; que des instruments, pas de voix. Le rythme était génial. C’était fantastique.
    Radio Princeton : la station qui diffusa Le Messie de Haendel le jour de l’arrivée des premières filles sur le campus. Je me souviens de ma rencontre avec Gil, cette fameuse nuit, au pied de la tour de Nassau Hall. Il avait surgi en dansant une petite rumba et m’avait invité à l’imiter. Avec lui, il y a toujours de la musique, comme le jazz qu’il essaie d’apprendre au piano depuis que je le connais. Le nouveau Gil a peut-être conservé un peu de ce qu’il était jadis.
    — Elle ne me manque pas, dit-il, me faisant une confidence pour la première fois. Elle se barbouillait les cheveux avec une pommade que lui avait donnée son coiffeur. Ils empestaient. Tu sais, cette odeur qu’on sent dans la pièce quand on vient de passer l’aspirateur… Propre et chaude.
    — Oui.
    — C’était comme ça. Comme si elle les avait brûlés au sèche-cheveux. Quand elle mettait la tête sur mon épaule, ça sentait la moquette.
    Il continue, se laisse guider par des associations d’idées.
    — Tu sais qui sentait comme ça ?
    — Non.
    — Essaie de te rappeler. En première année.
    Propre et chaud. La cheminée à Rockefeller…
    — Lana McKnight, dis-je.
    — Oui. Je n’ai jamais compris comment vous aviez fait pour rester ensemble aussi longtemps. Vous formiez un drôle de couple. On faisait des paris, Charlie et moi, sur la date de votre rupture.
    — Il m’avait dit qu’il aimait bien Lana.
    — Tu te souviens de sa petite amie, en deuxième année ? poursuit Gil, passant déjà à autre chose.
    — Celle de Charlie ?
    — Elle s’appelait Sharon, je crois.
    — La fille aux yeux vairons ?
    — Elle, ses cheveux sentaient vraiment bon. Quand elle attendait Charlie dans la chambre, son parfum se répandait dans la pièce : le même que celui de ma

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