La règle de quatre
centimètres seulement nous séparent.
— Dans le New Hampshire non plus, murmure-t-elle. Du moins, pas en avril.
Je la suis sur ce terrain sans réserve ; qu’elle prenne les rênes et qu’elle m’emmène. N’importe où, sauf ici. Je veux en savoir plus sur sa vie de jeune fille, les habitudes de sa maison, les repas en famille. Je me figure le nord de la Nouvelle-Angleterre comme les Alpes : des montagnes partout, des saint-bernard chargés des cadeaux.
— Chaque année, avec ma petite sœur, dès que l’étang gelait à côté de la maison, on perçait des trous dans la glace.
— Avec Mary ?
— Oui.
— Pourquoi des trous ?
Elle sourit. Elle est belle.
— Pour que les poissons respirent.
Il y a un peu d’agitation en haut de l’escalier, les allées et venues fabriquent de petites poches de chaleur en mouvement.
— On prenait des manches à balai, poursuit-elle, et on faisait des trous partout, sur toute la surface de l’étang.
Elle hoche la tête, me prend la main.
— On était la bête noire des patineurs.
— Moi, mes sœurs m’emmenaient faire de la luge.
Les yeux de Katie brillent. En qualité d’aînée, elle a un avantage sur moi, le benjamin de ma famille.
— Il n’y a pas beaucoup de collines à Columbus, alors on allait toujours au même endroit.
— Et elles te tiraient sur la luge jusqu’en haut de la côte.
— Je t’en ai déjà parlé ?
— C’est ce que font toutes les grandes sœurs.
J’ai du mal à l’imaginer tirant une luge au sommet d’une colline. Mes sœurs, elles, étaient aussi costaudes que des chiens de traîneau.
— Je t’ai déjà parlé de Dick Mayfield ?
— Qui ? demande-t-elle.
— Le type qui sortait avec ma sœur.
— Et alors ?
— Sarah m’arrachait le téléphone quand il appelait chez nous.
Ça aussi, c’est une chose que font toutes les grandes sœurs.
— Dick Mayfield n’avait pas mon numéro, rétorque Katie, qui referme ses doigts sur les miens en souriant.
Malgré moi, mes pensées vont vers Paul. À l’œuvre qu’il a réalisée de ses mains.
— Peut-être, mais il avait le numéro de ma sœur, dis-je. Une vieille Camaro rouge peinturlurée de flammes, et l’affaire était dans le sac.
Katie feint la plus sévère réprobation.
— Dick le dragueur et sa caisse à gonzesses. J’ai dit ça un soir où il était invité à la maison. Ma mère m’a envoyé au lit sans manger.
Dick Mayfield, fantôme du passé. Il me surnommait Petit Tom. Un jour, il me confia un secret : « La taille n’a pas d’importance. Tout ce qui compte, c’est la puissance de feu de ton engin. »
— Mary sortait avec un garçon qui conduisait une Mustang, intervient Katie. Quand je lui ai demandé quel usage ils faisaient de la banquette arrière, elle a répondu qu’il avait trop peur qu’on salisse les sièges.
Le sexe et les voitures, se parler sans rien se dire.
— Ma première petite amie conduisait une vieille Volkswagen rescapée d’une inondation. Quand on s’allongeait sur la banquette, il y avait une drôle d’odeur, un peu comme du sushi. Ça te coupait l’envie.
— Ta première petite amie avait le permis ?
Je bredouille, conscient de l’aveu implicite que contiennent mes paroles.
— J’avais neuf ans, dis-je en me raclant la gorge. Elle, dix-sept.
Katie éclate de rire, puis c’est le silence de nouveau. Finalement, je me lance.
— J’ai prévenu Paul.
Elle lève les yeux.
— Je ne travaillerai plus sur le livre.
Elle reste sans réaction, puis elle se frotte les épaules, cherche un peu de chaleur. Je devine enfin que la température de la pièce l’incommode.
— Tu veux ma veste ?
— Merci ! J’ai la chair de poule.
Impossible de détourner les yeux. Ses bras sont couverts de perles minuscules. Les courbes de sa poitrine sont pâles, comme la peau d’une danseuse de porcelaine.
— Tiens, dis-je en lui couvrant les épaules.
Mon bras l’effleure, elle le retient, caresse fugitive suspendue dans le vide. Je reste dans cette position étrange, puis elle penche la tête. Son parfum m’enivre, ravivé par le mouvement de ses cheveux. C’est, enfin, une réponse.
Je glisse la main dans son dos, au creux de ses reins, mes doigts rencontrent le tissu, s’empêtrent dans les plis, je l’étreins fort et sans effort tout à la fois. Une mèche tombe sur son visage et elle ne la chasse pas. Sous sa lèvre, je découvre un point de rouge
Weitere Kostenlose Bücher