La règle de quatre
sais enfin qui je suis, dis-je en la ramenant vers moi.
Le contact entre nos corps est enivrant, son décolleté se resserre, sa poitrine frémit.
— Dis-moi tout.
Notre respiration s’accélère. De minuscules gouttes de sueur perlent sur son front.
— Francis Scott Fitzgerald.
Katie sourit, glisse sa langue entre ses dents de devant.
— Impossible. Ce n’est pas du jeu.
Nous parlons fort, bouches et oreilles complices pour couvrir la musique. Une mèche de cheveux vient caresser mes lèvres. Comme tout à l’heure dans la chambre noire, je sens le parfum dans sa nuque et l’idée que nous sommes vraiment les mêmes, sous nos déguisements d’un soir, me comble de bonheur.
— Scott n’était pas membre de l’Ivy, mais de Cottage Inn, explique-t-elle en penchant la tête. Tu blasphèmes.
Je souris.
— La fête se termine à quelle heure ?
— Juste avant la messe.
J’avais oublié : demain, c’est Pâques.
— Vers minuit ?
— Oui. Kelly craint qu’il n’y ait pas grand monde à l’office.
Et comme un fait exprès, après un autre tour de piste, nous croisons Kelly Danner, l’index pointé sur un étudiant vêtu d’un smoking extravagant, telle une sorcière qui veut transformer un prince en crapaud. La toute-puissante Kelly Danner, la femme avec qui même Gil ne badine pas, risque d’avoir du mal à rassembler ses ouailles.
— Ils comptent obliger tout le monde à y aller ?
— Non, ils vont nous le suggérer en fermant les portes du club.
Parler de Kelly semble l’agacer, alors je n’insiste pas. En regardant les couples autour de nous, je ne peux pas m’empêcher de penser à Paul qui a toujours semblé si seul, ici.
Soudain, l’entrain déserte la fête quand survient un dernier couple, assez tard pour que son arrivée n’échappe à personne : Parker Hassett et sa cavalière. Fidèle à sa promesse, Parker s’est teint les cheveux en brun, tracé une raie à gauche et a enfilé un smoking blanc dans le pur style de l’investiture présidentielle. Le résultat est à la hauteur de ses efforts : il ressemble à s’y méprendre à John Kennedy. Son amie, la très théâtrale Veronica Terry, remplit parfaitement son rôle. Cheveux blond platine savamment ébouriffés, rouge à lèvres vermillon, robe qui n’a pas besoin d’une bouche d’aération pour tourbillonner : c’est le portrait craché de Marilyn Monroe. Le bal costumé vient de s’ouvrir. Dans une salle remplie d’imposteurs, ces deux-là remportent la palme.
Parker est accueilli par un silence de mort, bientôt ponctué de sifflets épars. Lorsque, depuis le haut de l’escalier, Gil parvient à calmer l’assistance, j’en déduis que Parker, grimé en président, lui a ravi l’honneur présidentiel d’arriver en dernier.
Gil exhorte l’assistance à se détendre. Parker fait un crochet rapide par le bar et revient, un verre dans chaque main, vers la piste de danse avec Veronica Terry. Il fanfaronne, à croire qu’il ne remarque pas son impopularité. Quand il passe devant moi, je comprends mieux : il traîne dans son sillage des vapeurs d’alcool, il est déjà complètement ivre.
À son approche, Katie se crispe, mais je ne m’en formalise pas. Jusqu’à ce que je surprenne le regard sournois, vicieux et lourd de sous-entendus de Parker. Elle me prend par la main et m’emmène loin de la piste.
— Tu veux bien m’expliquer ? demandé-je.
L’orchestre entonne une chanson de Marvin Gaye, tout en batterie et en guitares, leitmotiv de l’arrivée de Parker. John Kennedy fricote avec Marilyn Monroe, étrange spectacle d’un batifolage historique. Tous les autres couples se tiennent à distance, mettant en quarantaine les deux pestiférés.
Katie est contrariée. La magie de notre duo dansant s’est envolée.
— C’est un connard, lâche-t-elle.
— Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Enfin elle me raconte tout, l’histoire que j’ignore car je n’étais pas là pour l’entendre, celle qu’elle me réservait pour plus tard.
— Pendant les épreuves de sélection du club, Parker a juré de me blackbouler si je ne lui faisais pas un strip-tease au deuxième étage. Depuis, il trouve ça drôle.
Nous sommes au milieu du hall, assez près de la piste de danse pour que j’aperçoive Parker, les mains sur les hanches de Veronica.
— Le salaud ! Qu’as-tu fait ?
— J’ai prévenu Gil, dit Katie, qui repère l’intéressé, dans l’escalier, en
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