La règle de quatre
couleurs de l’équipe de natation synchronisée pour moi. Le lieutenant Williams, comme me l’apprend l’insigne épinglé sur sa poche de poitrine, est une femme stoïque à la peau tannée et aux cheveux bouclés. Elle sort son calepin.
— Vous êtes ?
— Tom Sullivan. Et voici Paul Harris.
— On vous a volé quelque chose ?
Paul ignore la question et poursuit des yeux son inspection.
— Je ne le sais pas encore, rétorqué-je.
Le lieutenant Williams lève les yeux.
— Vous avez regardé partout ?
— Pour l’instant, il semble que rien n’ait disparu.
— Qui d’entre vous a quitté l’appartement le dernier ?
— Pourquoi ?
Le lieutenant Williams se racle la gorge.
— Nous savons qui a oublié de verrouiller la porte, mais pas qui a omis de fermer la fenêtre.
Elle insiste sur les mots « porte » et « fenêtre » pour bien nous signifier que tout cela est notre faute.
Paul blêmit.
— C’est peut-être moi, murmure-t-il, On étouffe dans la chambre et Tom ne veut jamais que j’aère. Alors je suis venu travailler ici et j’ai dû oublier de la refermer.
— Écoutez, dit Gil au lieutenant Williams, on peut en finir ? Je pense qu’il n’y a rien à ajouter.
Sans attendre sa réponse, il referme la fenêtre et invite Paul à s’asseoir sur le canapé. Le lieutenant griffonne quelques mots dans son calepin.
— Fenêtre ouverte. Porte déverrouillée. Rien ne semble avoir été volé. Autre chose ?
Personne ne répond.
— Dans ce genre d’affaire, il est rare que l’on retrouve les coupables, déclare le lieutenant Williams en secouant la tête comme si nous attendions un miracle. Je transmettrai à la police locale. La prochaine fois, verrouillez votre porte en sortant. Ça vous évitera des ennuis. On vous appellera si on a du nouveau.
Elle sort d’un pas lourd, en faisant couiner ses bottes. La porte se referme.
Je m’approche de la fenêtre. La neige fondue sur le sol de la pièce est d’une transparence immaculée.
— Ils ne feront rien, lâche Charlie.
Intrigué, je soulève le châssis et laisse le vent s’engouffrer dans la pièce. La moustiquaire a été entaillée sur trois côtés, parallèlement au cadre. On dirait l’entrée d’une niche. Par terre, mes chaussures laissent d’ostensibles traces de boue.
— Tom, ferme cette fichue fenêtre ! ordonne Gil sur un ton exaspéré.
— Venez voir, dis-je en passant un doigt sur le rebord.
Paul pivote vers moi. Les fils métalliques pointent vers l’extérieur, comme si quelqu’un avait emprunté ce chemin pour sortir. Si on avait crevé la moustiquaire pour entrer, les arêtes pointeraient vers l’intérieur. Les proctors ne s’en sont même pas aperçus.
Déjà Charlie embrasse la pièce du regard.
— Pas de boue non plus, dit-il en montrant la flaque d’eau propre à ses pieds.
— Ça ne tient pas la route, objecte Gil. Puisque la porte était ouverte, pourquoi sortir par la fenêtre ?
— De toute façon, rien ne tient la route, rétorqué-je. Une fois à l’intérieur, on peut toujours sortir par la porte.
— Signalons cela aux proctors, suggère Charlie, de nouveau remonté. C’est extraordinaire ! Ils n’ont même pas vu ça !
Paul se contente de passer une main sur le journal de Bill Stein.
— Tu as toujours l’intention d’assister à la conférence de Taft ? lui demandé-je.
— Eh bien, oui. Ça ne commence pas avant une heure.
Charlie range les livres sur l’étagère du haut qu’il est le seul capable d’atteindre.
— Je passerai chez les proctors tout à l’heure, dit-il. Je leur expliquerai, pour la moustiquaire.
— C’est sans doute un coup monté, suggère Gil, qui ne s’adresse à personne en particulier. Des participants aux jeux Olympiques nus qui se seront amusés à entrer chez les uns et les autres.
Nous remettons la pièce en ordre pendant quelques minutes avant de décider, sans même nous concerter, que cela suffit. Gil, trop heureux de se débarrasser du chemisier de Katie, enfile un pantalon de laine.
— Si vous avez faim, ajoute-t-il, je suggère l’Ivy Club.
Paul hoche la tête, tout en continuant à feuilleter son exemplaire de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, de Fernand Braudel, comme s’il en comptait les pages.
— De toute façon, il faut que j’y passe. J’ai deux ou trois trucs à vérifier là-bas.
— Alors changez-vous, Tom et toi,
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