La règle de quatre
œuvres se rapportent toutes à l’histoire de Joseph, dans la Bible. Joseph, qui savait interpréter les songes…
Curry sourit.
— Joseph et ses frères , de Franz Maulbertsch, 1750.
Nous restons un moment devant l’œuvre avant que Curry ne nous entraîne devant le second tableau.
— Joseph distribuant du blé au peuple , dit-il en montrant le premier tableau, de Bartholomeus Breenbergh, vers 1655. J’ai réussi à persuader l’institut Barber de nous le prêter. Remarquez l’obélisque, au fond.
— Ça me rappelle une des gravures del’ Hypnerotomachia.
Curry sourit :
— J’ai eu la même réaction que toi, la première fois que je l’ai vu. Malheureusement il ne semble pas y avoir de lien entre les deux.
Il s’avance vers la troisième.
— Pontormo, affirme Paul.
— Bravo, dit Curry. Joseph en Egypte.
— Comment l’avez-vous eu ?
— La National Gallery de Londres refusait de l’envoyer directement à Princeton. Je suis passé, par le Metropolitan.
Curry s’apprête à ajouter quelque chose quand Paul avise les deux derniers trésors de la série. Il s’agit de deux panneaux, d’environ un mètre de haut sur un mètre cinquante de large, riches de couleurs. L’émotion point dans sa voix.
— Andrea del Sarto. Histoires de Joseph. Je les ai vus à Florence.
Grâce à Richard, Paul a passé un été en Italie pour ses recherches surl’ Hypnerotomachia. Il n’avait jamais séjourné à l’étranger auparavant.
— J’ai un ami au palais Pitti, dit enfin Curry en croisant les mains sur sa poitrine. Il m’a souvent rendu service. Il me les prête pour un mois.
Tétanisé, Paul garde le silence. La neige fondue l’a décoiffé, il a les cheveux plaqués sur la tête, mais ses lèvres s’étirent en un étrange sourire lorsqu’il s’approche du tableau. Sa réaction m’amène à déduire que les peintures ont été accrochées dans un ordre précis, pour leur conférer un sens que seul Paul est en mesure d’apprécier. L’insistance de Curry, ajoutée à son exceptionnelle contribution au musée, supérieure à toutes les autres réunies, lui a certainement permis de convaincre les administrateurs de disposer les œuvres à sa guise. Le mur qui se dresse devant nous est en réalité un cadeau à nul autre pareil, manière pour Curry de féliciter Paul d’avoir achevé son mémoire.
— Tu connais le poème de Browning sur Andréa del Sarto ? s’enquiert Curry d’un ton peu assuré.
Moi, je l’ai appris en cours de littérature. Paul secoue la tête.
— « Vous faites ce que beaucoup rêvent de faire toute leur vie », murmure Curry. « Ce qu’ils rêvent de faire ? Ce à quoi ils aspirent, qu’ils brûlent d’accomplir mais à quoi ils échouent. »
Paul pose enfin une main sur l’épaule de Curry. Puis il recule d’un pas et extirpe le petit paquet de sous sa chemise.
— Qu’est-ce que c’est ? interroge Curry.
— Quelque chose que Bill vient de m’apporter.
Paul hésite, je le sens inquiet de la réaction de Richard. Délicatement, il extrait le carnet de son enveloppe de chiffons.
— Je crois que vous devriez voir cela, ajoute-t-il.
— Mon journal, réplique Curry, médusé, en examinant le livre sous toutes ses coutures. C’est incroyable…
— J’ai l’intention de m’en servir, reprend Paul. Pour terminer le mémoire.
Curry l’a-t-il seulement entendu ? Quand son regard se pose de nouveau sur son trésor, son sourire a disparu.
— Où l’as-tu trouvé ?
— Bill me la apporté tout à l’heure.
— Je sais, tu l’as dit. Où se l’est-il procuré ?
La voix de Curry s’est durcie. Je me sens obligé de répondre pour Paul.
— Chez un bouquiniste à New York.
— Impossible ! s’écrie Curry. J’ai cherché ce livre partout, j’ai remué ciel et terre, visité toutes les librairies, tous les antiquaires, toutes les bibliothèques, tous les revendeurs, tous les prêteurs sur gages de New York, toutes les salles de ventes et je ne l’ai trouvé nulle part. Cela fait trente ans que ce livre a disparu, Paul. Il avait disparu, tu comprends ?
Curry tourne les pages, palpe la couverture, caresse les feuilles et le papier.
— Regarde. Voici le passage dont je t’ai parlé. Il est ici question de Colonna. Et tiens, plus loin, vois !
Il relève brusquement la tête :
— Impossible ! Bill ne peut avoir trouvé ce livre aujourd’hui. Pas la veille de la remise de ton
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