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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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la blanchisserie en hiver nous plonge immanquablement dans un mirage où l’air palpite et où des silhouettes de rêve frémissent de sueur. Quand il neige dehors, la vue d’une jambe ou d’une épaule dénudée est plus efficace qu’un verre de whisky pour vous fouetter les sangs. Nous ne sommes pas à Holder, mais cette buanderie constitue l’antichambre rêvée des JO nus.
    Je fonce vers notre chambre au rez-de-chaussée, l’ultime refuge. Paul me suit en silence. À chaque pas, je pense davantage aux deux lettres qui traînent sur la table basse. Même le journal de Bill n’a pas réussi à me les sortir de l’esprit. Cela fait des semaines que je me demande ce qu’on peut faire de quarante-trois mille dollars par an. Parfois, avant de m’endormir, durant ce moment fragile où tout bascule dans le flou, je suis submergé par le souvenir d’une nouvelle de Fitzgerald, Un diamant gros comme le Ritz, et je me vois acheter ce joyau et l’offrir à une femme située de l’autre côté de mon rêve. Parfois aussi, dans un état second, je me surprends à rêver que j’achète des objets enchantés, de ceux qu’imaginent les enfants : une voiture indestructible, une jambe incassable.
    — Qu’est-ce qu’ils font là ? s’exclame Paul.
    Au fond du couloir, Charlie et Gil sont postés côte à côte devant la porte de notre appartement. On s’agite à l’intérieur : c’est la police du campus. On nous aura vus sortir des tunnels.
    — Que se passe-t-il ? demande Paul en hâtant le pas.
    Un proctor examine quelque chose par terre. Charlie et Gil se disputent à mi-voix, trop bas pour que je distingue leurs paroles. Je suis sur le point de formuler des excuses pour notre escapade dans les tunnels quand Gil vient à moi :
    — Tout va bien, dit-il sur un ton rassurant. Ils n’ont rien pris.
    — Quoi ?
    Il désigne la porte. Le désordre dans l’appartement est total. Livres et coussins jonchent le sol du salon ; dans la chambre que je partage avec Paul, les tiroirs de la commode sont grands ouverts.
    — Bon sang…, murmure Paul, qui s’engouffre à l’intérieur.
    — Quelqu’un a forcé la porte, explique Gil.
    — Non. Quelqu’un a poussé la porte, rectifie Charlie. Apparemment, elle n’était pas verrouillée.
    Je me tourne vers Gil, le dernier à avoir quitté les lieux tout à l’heure. Depuis un mois, Paul nous supplie de fermer à clef. Gil est le seul à oublier. Il montre la fenêtre pour parer à toute accusation.
    — Ils sont entrés par là, avance-t-il. Pas par la porte.
    Dans le séjour, une flaque d’eau s’est formée devant la fenêtre ouverte. La neige soufflée par le vent s’est accumulée sur l’appui et la moustiquaire est éclatée par trois endroits.
    Dans la chambre, Paul passe tout en revue, des tiroirs du bureau aux étagères de la bibliothèque que Charlie a posées. Les livres qu’il a empruntés à la bibliothèque ont disparu. Il respire avec difficulté. L’espace de quelques secondes, nous nous croyons projetés de nouveau dans les tunnels : seules les voix nous sont familières.
    Ça ne fait rien, Charlie. Ce n’est pas par là qu’ils sont entrés.
    Tu t’en fiches, parce qu’ils ne t’ont rien pris.
    Le proctor arpente la pièce voisine.
    — Quelqu’un savait…, marmonne Paul.
    — Ici, regarde ! m’exclamé-je en pointant un lit.
    Ses livres sont là. Les mains tremblantes, il s’assure qu’il n’en manque aucun.
    De mon côté de la chambre, c’est à peine si un grain de poussière a été déplacé. Certes, la reproduction de la page de titre del’ Hypnerotomachia, cadeau de mon père, a été décrochée du mur. Un des coins est plié, mais elle n’a pas souffert. Seul un de mes ouvrages a été abîmé : un exemplaire du jeu d’épreuves de la Lettre Belladone , que mon père rebaptisera, dans un deuxième temps, Document Belladone.
    Gil passe la tête dans le vestibule qui sépare nos chambres.
    — Ils n’ont touché à rien chez nous. Chez vous, ça va ?
    Il est évident qu’il se sent coupable. Sa voix trahit l’espoir que, en dépit du désordre, rien n’a été dérobé.
    — Ils n’ont rien pris, dis-je.
    — Disons qu’ils n’ont rien trouvé, corrige Paul.
    Je n’ai pas le temps de lui demander ce qu’il entend par là.
    — Puis-je vous poser quelques questions ? demande un proctor.
    Notre accoutrement ne semble pas l’impressionner : survêtement de Katie pour Paul et pull aux

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