La règle de quatre
amitié avec le président de son club avaient favorisé ma rencontre avec une fille aussi formidable que Katie.
J’ai fini par revenir sur terre et Katie me l’a bien rendu. On se dispute quand il fait trop chaud dans ma chambre ou qu’elle dort la fenêtre ouverte. Elle me reproche de me servir deux parts de dessert et affirme que tous les hommes finissent par payer le prix de leurs petites transgressions. Gil se moque de moi, l’accuse de m’avoir apprivoisé, comme si j’avais jamais été sauvage. De fait, je suis candidat à la domestication. Je monte le thermostat quand je n’ai pas froid et je prends deux fois du dessert même quand je n’ai pas faim, parce que je me dis que, plus tard, Katie ne tolérera pas ces détails, ce qui veut dire que j’envisage un plus tard. Les fantasmes d’hier, dans la foulée de ses réprimandes, m’importent moins. Je la préfére comme elle est, dans cette cour.
Elle a les yeux gonflés, signe qu’une longue journée touche à sa fin. Le vent fait danser ses boucles sur ses épaules. Je voudrais pouvoir continuer à l’observer ainsi de loin, me fondre dans sa contemplation. Mais elle me fait signe de la rejoindre.
— C’était quoi, tout ce bazar ? demande-t-elle. Tu connais le type qui a fait ça ?
— Richard Curry.
— Curry !
Katie me prend par la main. Sa lèvre inférieure s’ourle délicatement.
— Paul va bien ?
— Je crois.
Dans la foule, des étudiants galants proposent leur veste à leurs amies, transies de froid. Tara la Blonde a réussi à convaincre un inconnu de lui prêter la sienne.
Katie fait quelques pas en direction de l’amphithéâtre.
— Alors, ça t’a plu ? demande-t-elle.
— La conférence ?
Elle hoche la tête tout en se tordant une mèche.
— Un peu sanglant.
Jamais je ne ferai de compliments à l’ogre.
— Plus intéressant que d’habitude, tout de même, dit-elle en me tendant sa tasse de chocolat. Tu me tiens ça un instant ?
Elle a noué un chignon sur sa tête et y plante deux longues épingles sorties de sa poche. Cette dextérité qui lui permet de faire une chose à l’aveugle me rappelle la manière dont ma mère nouait la cravate de mon père en se tenant derrière son dos.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? questionne-t-elle en voyant l’expression sur mon visage.
— Rien, je pensais à Paul.
— Il aura fini à temps ?
Ah, le mémoire. En dépit de tout, Katie s’intéresse encore au sort del’ Hypnerotomachia. Demain soir, elle pourra oublier à jamais mon ancienne maîtresse.
— J’espère.
Le silence qui suit est moins agréable. Je me creuse les méninges pour trouver un autre sujet de conversation — son anniversaire ou le cadeau qui l’attend chez moi. Charlie se joint à nous, ce qui ne laisse rien présager de bon : après avoir fait le tour des tables, il a décidé de venir se réfugier à nos côtés.
— Je suis un peu en retard, annonce-t-il. Tu me fais un topo ?
Charlie est un être bizarre, mais je suis chaque fois soufflé de constater à quel point ce géant intrépide peut se montrer balourd et maladroit avec le sexe opposé.
— Un topo ? s’exclame Katie, amusée.
Il gobe un petit-four, puis un autre, tout en contemplant la foule, comme s’il cherchait un divertissement.
— Mais oui, dit-il. Comment ça se passe en cours. Qui sort avec qui. Ce que tu fais l’année prochaine. Les trucs habituels.
Katie sourit.
— Tout va très bien en classe, Charlie. Tom et moi sortons toujours ensemble, précise-t-elle, les sourcils froncés. Je serai encore ici l’an prochain. Je passe en troisième année.
— Ah ! soupire Charlie, qui oublie systématiquement qu’elle a deux ans de moins que nous.
Il tient un gâteau minuscule dans sa paume gigantesque et cherche sans doute la façon idéale de s’adresser à une étudiante de deuxième année. Évidemment, il choisit la pire : le bon conseil.
— La troisième année est assez difficile. Deux devoirs importants à rendre, incontournables pour ta matière principale.
Puis, parlant de moi tout en s’empiffrant :
— Et puis ta relation avec ce type se gérera à distance, désormais. Pas facile, tout ça.
Il tourne sa langue dans sa bouche, savoure ce qu’il y trouve tout en ruminant notre avenir.
— Je ne peux pas dire que je t’envie, conclut-il.
Il s’arrête pour nous donner le temps de digérer. Par un tour de force dont il a le secret, Charlie a réussi
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