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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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même air impassible qu’il affichait à l’arrivée des Tiger Inn. Jetant un coup d’œil à sa montre, il sourit :
    — Eh bien, on dirait que la soirée est…
    — Merde ! hurle Charlie.
    Sa voix couvre presque le deuxième craquement. Cette fois, il n’y a pas de doute. C’est un coup de feu.
    L’homme explose à travers la vitre, le dos tourné, et pendant quelques secondes il semble figé dans sa chute. Quand le corps s’écrase au sol dans un bruit sourd, un silence absolu envahit la cour.
    Puis plus rien.
     
    Je me souviens surtout du bruit des pas de Charlie se précipitant vers le corps allongé dans la neige. Une foule de gens converge.
    — Bon sang ! murmure Gil.
    D’un peu partout, la même question aux lèvres.
    — Comment va-t-il ?
    Mais l’homme à terre n’esquisse pas le moindre mouvement.
    On entend enfin la voix de Charlie :
    — Appelez une ambulance ! Dites qu’il y a un homme inanimé dans la cour, près de la chapelle.
    Gil dégaine son portable, mais deux agents de sécurité du campus arrivent au pas de course, se fraie un chemin dans la foule en repoussant les curieux. Penché sur le corps, Charlie exécute un massage cardiaque — ses gestes sont réguliers comme le mouvement des pistons. Étrange de l’observer dans un rôle qui occupe pourtant toutes ses nuits.
    — L’ambulance ne devrait pas tarder.
    Au loin, j’entends hurler les sirènes.
    Ma jambe commence à trembler.
    L’ambulance arrive enfin. Les portes s’ouvrent à l’arrière et laissent passer deux membres de l’équipe médicale d’urgence. Ils immobilisent le blessé dans un corset avant de le déposer sur la civière. Quand les portes se referment, je devine l’empreinte laissée par le corps. La trace sur la dalle a quelque chose d’indécent, comme une entaille dans la chair d’une princesse de conte de fées. Ce que je prenais pour de la boue, à l’endroit de l’impact, passe du noir au rouge. C’est du sang. Dans le bureau au dernier étage, tout est sombre.
    L’ambulance s’éloigne dans Nassau Street et le bruit de la sirène s’estompe petit à petit. Je n’arrive pas à détacher mes yeux de l’empreinte de l’ange disloqué. Le vent mugit et je frissonne. Quand les gens commencent à quitter la cour, Charlie a disparu. Il est monté dans l’ambulance et un silence infernal se substitue à la voix que je voudrais entendre.
    Les étudiants se dispersent sans bruit.
    — J’espère qu’il s’en sortira, dit Gil en posant une main sur mon épaule.
    Pendant une seconde, j’ai l’impression d’entendre Charlie.
    — Rentrons, dit Gil. Je te ramène.
    J’apprécie la chaleur de sa main, mais je ne bouge pas, je suis incapable de m’arracher à ces lieux. Je revois l’homme tomber, son corps s’écraser au sol. La séquence se fragmente, j’entends le bris du verre, puis le coup de feu.
    J’ai l’estomac retourné.
    — Viens, insiste Gil. Tirons-nous d’ici.
    J’accepte. Katie a disparu après le départ de l’ambulance. Une de ses amies me prévient qu’elle est rentrée à Holder avec ses camarades de chambrée. Je l’appellerai dès que je serai chez moi.
    Gil prend mon bras et me guide vers la Saab enneigée, garée près de l’entrée de l’auditorium. D’instinct, il met le chauffage à la bonne température et ajuste le volume d’une vieille ballade de Sinatra jusqu’à ce que le sifflement du vent ne soit plus qu’un souvenir. Il conduit à une vitesse qui me rassure quant à notre résilience face aux intempéries.
    — Tu as vu qui est tombé ? demande-t-il doucement après un moment.
    — Je n’ai rien pu voir.
    — Tu ne penses pas que…, énonce Gil en s’avançant un peu sur son fauteuil.
    — Je ne pense pas que quoi ?
    — Tu ne crois pas qu’on devrait appeler Paul pour lui demander si ça va ?
    Gil me tend son portable. Je compose le numéro, mais il n’y a pas de couverture de réseau.
    Nous n’échangeons plus un mot pendant quelques secondes interminables, chacun tente de chasser cette possibilité de son esprit. Finalement, Gil change de sujet.
    — Raconte-moi ton voyage. C’était bien de retrouver la famille ?
    Plus tôt dans la semaine, j’avais fait l’aller-retour à Columbus pour célébrer avec ma mère la remise de mon mémoire.
    Toutes ces platitudes produisent une conversation sans queue ni tête : je lui donne les dernières nouvelles de mes sœurs, l’une est vétérinaire, l’autre

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