La règle de quatre
troisième larron. Un autre érudit.
Paul a prononcé ces dernières paroles avec respect. J’en déduis qu’il parle de mon père.
— Soudain, il se sent largué. Ses deux compagnons affirment en chœur que le journal est la solution. Mais lui s’obstine. Il a soutenu que le document ne valait rien, que le capitaine du port était un faiseur. Pis encore, il a horreur de se tromper. Que voulais-tu qu’il fasse ?
Paul prêche un convaincu : je sais depuis toujours que Vincent Taft est un voleur.
— Je vois, dis-je. Continue.
Il finit par subtiliser ce fichu journal. Mais il ne peut rien en faire, parce que, d’une part, son hypothèse de départ est fausse, et d’autre part il ignore tout des messages cryptés de Francesco. Alors, que fait-il ?
— Je ne sais pas.
— Pas question de le jeter, même s’il ne le comprend pas, poursuit Paul.
J’acquiesce d’un hochement de tête.
— Donc il le garde. Il le cache dans un endroit sûr. Peut-être dans le coffre de son bureau.
— Ou chez lui.
— Oui. Puis, des années plus tard, un petit étudiant apparaît. Avec un ami, il progresse sur son interprétation del’ Hypnerotomachia . Plus que Vincent ne l’aurait cru au départ. En fait, beaucoup plus que lui, à l’époque où il y consacrait tout son temps. Et ce minus se met à décoder les messages de Francesco.
— Taft commence donc à croire que, tout compte fait, le journal possède son utilité.
— Exact.
— Evidemment, il n’en parle pas à l’étudiant. Trop risqué. Ça le désignerait comme coupable. Mais admettons qu’un jour quelqu’un intercepte le fameux journal.
— Bill.
Paul hoche la tête.
— Il était toujours fourré dans le bureau de Vincent ou à son domicile, il lui servait de tâcheron. Et il connaissait l’importance du journal. S’il l’a trouvé, il ne pouvait pas le laisser filer.
— Et il te l’a apporté.
— Oui. Et nous, nous l’avons montré à Richard. Et Richard est venu provoquer Vincent à la conférence.
Je suis sceptique.
— Mais Taft s’est forcément rendu compte, avant cet incident, que le journal avait disparu.
— Bien sûr. Il ne pouvait pas ignorer que Bill l’avait découvert. Mais comment voulais-tu qu’il réagisse en apprenant que non seulement Bill l’avait démasqué, mais qu’en plus Richard était au courant ? La première chose qui a dû lui venir à l’esprit, c’est d’aller trouver Bill.
Maintenant, je comprends.
— Tu penses qu’il s’est rendu directement au bureau de Stein après la conférence ?
— Tu as vu Vincent au pot qui a suivi la conférence ?
La question me semble d’abord purement rhétorique, mais je me souviens ensuite que Paul n’y était pas ; il avait déjà filé, à la recherche de Stein.
— Pas que je sache.
— Un couloir relie la salle de conférence à Dickinson. Vincent n’a même pas eu à sortir pour s’y rendre.
Je digère ce que Paul vient de dire. L’éventualité de l’implication de Vincent dans le meurtre de Stein fait son chemin dans mon cerveau, se raccorde à mille autres détails.
— Tu crois vraiment que Taft l’a tué ?
En posant la question, j’imagine la silhouette de Gaël Rote enterrant le chien kamikaze sous un arbre.
Paul contemple les contours noirs que le projecteur plaque contre le mur.
— Je crois qu’il en est capable.
— C’est la colère qui l’y aurait incité ?
— Je ne sais pas, soupire Paul, qui semble avoir déjà réfléchi à la question. Il faut que je te dise quelque chose. Pendant que j’attendais Bill à l’institut, j’ai commencé à repérer les passages du journal où apparaît le nom de Francesco.
Il l’ouvre, me montre une feuille de papier à en-tête de l’institut glissée à l’intérieur. Elle est couverte de notes.
— J’ai retrouvé l’extrait où le capitaine du port retranscrit les directives recopiées chez Francesco par le voleur. D’après le Génois, il s’agit d’un plan de navigation, d’indications sur la route empruntée par le bateau. Le capitaine a essayé de découvrir le port d’origine de la cargaison en remontant sa trajectoire depuis Gênes.
Paul a dessiné sur sa feuille, à côté d’un compas de marine, une série de flèches.
— Voici les indications en latin. Je te traduis : quatre sud, dix est, deux nord, six ouest. Et finalement : De Stadio.
Qu’est-ce que ça veut dire, De Stadio ?
Paul sourit.
— Je pense que
Weitere Kostenlose Bücher