La règle de quatre
l’enfance.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Un jour, je l’ai surprise, à l’Ivy Club, en train d’enregistrer pour toi une partie de basket-ball à la télé. Elle m’a dit que c’était en souvenir des matchs auxquels tu assistais autrefois avec ton père.
Avant de me rencontrer, elle se moquait du basket comme d’une guigne.
— Tu as de la chance, conclut Gil.
J’approuve d’un hochement de tête.
Nous parlons encore un peu de Katie avant que Gil ne bascule vers Audrey Hepburn. Son visage se détend, puis se ferme à nouveau. Paul, Anna, le bal… Il attrape la bouteille. Je m’apprête à le sermonner lorsqu’un bruit sourd nous parvient du couloir. La porte d’entrée s’ouvre et la silhouette de Charlie se profile dans la lumière jaunâtre du plafonnier. Il a mauvaise mine. Des taches rouge sang maculent ses vêtements.
— Ça va ? demande Gil, qui s’est levé.
— Il faut qu’on parle, murmure Charlie d’une voix brisée.
Gil coupe le son de la télévision.
Charlie sort de l’eau du frigo, lampe la moitié de la bouteille avant de s’asperger le visage. Son regard vacille. Il finit par s’asseoir.
— L’homme qui est tombé de Dickinson… C’était Bill Stein.
— Bon Dieu ! chuchote Gil.
Soudain, j’ai froid.
— Je ne comprends pas, dis-je.
Charlie ne plaisante pas.
— Il était dans son bureau, au département d’histoire. Quelqu’un est entré et l’a flingué.
— Qui ?
— On n’en sait rien.
— Comment ça, on n’en sait rien ?
Un ange passe. Charlie s’adresse à moi.
— C’était quoi, le message sur le bipeur de Paul ? Que lui voulait Bill Stein ?
— Je te l’ai déjà dit. Il venait de mettre la main sur un manuscrit et voulait le lui montrer. Je n’arrive pas à le croire, Charlie !
— Il n’a rien ajouté ? Où il allait ? S’il avait rendez-vous avec quelqu’un ?
Je secoue la tête. Puis, petit à petit, me revient ce qui, sur le moment, passait pour de la paranoïa : tous ces appels que Bill a reçus, ces livres que quelqu’un d’autre consultait. La peur me submerge.
— Merde, grogne Charlie en tendant la main vers le téléphone.
— Qu’est-ce que tu fais ? demande Gil.
— Les flics vont vouloir t’interroger, me dit Charlie. Où est Paul ?
— Bon sang, je n’en ai aucune idée. Mais il faut que je le trouve. Il n’y a personne dans le bureau de Taft. Je n’arrête pas d’appeler.
Charlie semble s’impatienter.
— Ne t’inquiète pas, ça ira, assure Gil d’une voix râpeuse. Calme-toi.
— Ce n’est pas à toi que je m’adressais, réplique sèchement Charlie.
— Il est peut-être chez Taft ? Ou dans son bureau ?
Ma suggestion ne convainc personne.
— Les flics le trouveront bien, si nécessaire, déclare froidement Gil. Nous devrions rester en dehors de tout cela.
Charlie se tourne dans sa direction.
— Deux d’entre nous y sont déjà jusqu’au cou.
— Éclaire-moi, Charlie. Depuis quand es-tu impliqué là-dedans ? lance Gil d’un air méprisant.
— Pas moi, crétin. Tom et Paul. Quand je dis nous, je ne parle pas que de toi.
— Épargne-moi tes sermons. J’en ai par-dessus la tête que tu te mêles toujours des problèmes des autres.
Charlie se penche, soulève la bouteille posée sur la table et la jette à la poubelle.
— Tu as eu ta dose.
Pendant un instant, je crains que l’alcool ne fasse tenir à Gil des propos regrettables. Il se contente de foudroyer Charlie du regard avant de quitter le canapé.
— Ras le bol, maugrée-t-il. Je vais me coucher.
Je le regarde battre en retraite dans sa chambre, sans ajouter un mot. Une seconde plus tard, la lumière, sous sa porte, fait place à l’obscurité.
Les minutes s’égrènent, qui semblent des heures. Je tente encore une fois de joindre l’institut, en vain. Charlie et moi allons nous asseoir dans le salon et restons un moment silencieux. Mes pensées défilent trop vite pour que j’y discerne un sens. Je regarde par la fenêtre et la voix de Stein résonne dans ma tête.
Je reçois des coups de fil. Je décroche… Clic. Je décroche… Clic.
Finalement, Charlie se lève. Il sort une serviette de bain de l’armoire et prend ses affaires de toilette. Puis il quitte la pièce en caleçon, la serviette autour du cou, ses affaires sous le bras, et se dirige vers les douches, au fond du couloir, en passant devant des portes derrière lesquelles vivent une
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