La reine de Saba
des mukaribs de Kamna
et Kharibat, venus de Maryab en se fondant dans les villes et dans les champs
pour sacrifier au nom d’Arwé, s’empressèrent de murmurer.
Akébo faiblissait,
chuchotaient-ils à qui voulait les entendre. L’âge qui blanchissait ses cheveux
le vidait de sa puissance. Voilà qu’il ne se sentait plus sous la paume
d’Almaqah. Voilà qu’il craignait pour l’autre monde et avait besoin de
sacrifier au dieu de Pharaon. Voilà qu’il offrait même sa fille à Pharaon. Car
on savait que les prêtresses de Râ n’étaient que des prostituées que
l’Égyptien, selon son plaisir, pliait dans sa couche.
Le peuple
des trois grandes villes, Asmara, Yeha, Lalibela, ainsi que du port de Sabas,
écouta avec prudence. Beaucoup se rappelaient que les fervents d’Arwé avaient
chassé Akébo de Maryab et ne rêvaient que de le destituer d’Axoum. Mais le
peuple des campagnes était plus craintif quant à son avenir. Par nature il
était suspicieux, toujours enclin à croire que les puissants étaient trompeurs,
à la manière du ciel qui sans cesse noyait les récoltes ou les faisait sécher
sur pied. Il écoutait mieux les rumeurs et leur accordait volontiers du crédit.
Il offrit de jeunes agneaux, des chèvres et des poules pour sacrifier au Grand
Serpent. Pour les en remercier, les servants d’Arwé s’enhardirent à prédire que
le temps était venu de la fin d’Akébo le Grand.
Emportés
par leur haine et leur assurance, ils répétèrent cette prédiction de plus en
plus fort sans s’étonner que nul ne les inquiète. Ils ne se soucièrent guère de
voir que le chef de la garde royale, Tan’Amar, allait de ville en ville,
longeait la rive de la mer Pourpre dans un long voyage.
Le fait
est que son escorte comptait à peine cent hommes. Les servants d’Arwé comme les
espions de Shobwa prirent cela pour la preuve de la faiblesse d’Akébo, qu’ils
clamaient du matin au soir. Ils y trouvèrent matière à moquerie.
Ils
étaient trop sûrs d’eux. Ils croyaient trop bien à leur propre fable pour
s’apercevoir que, derrière Tan’Amar, des hommes se répandaient par dizaines
dans les villes et les campagnes.
Ils
prétendaient revenir du chantier du nouveau temple. La sécheresse les
contraignait à s’éloigner d’Axoum, racontaient-ils. La grande chaleur y
ralentissait les travaux et les débauchait. Il y avait là-bas trop de bouches à
nourrir. Partout les champs étaient jaunes, le fourrage suffisait à peine aux
bêtes. Les jardins et les arbres ne portaient plus de fruits en suffisance.
Aussi devaient-ils attendre les pluies pour retourner à Axoum.
Et quand
on leur confia les rumeurs que colportaient les servants du Grand Serpent Arwé,
ils se montrèrent intéressés. Ils ne répugnèrent pas à se rendre dans les
champs ou dans les caves apporter de petites offrandes pour écouter s’agiter la
langue fourchue de ceux qui le servaient.
Si bien
qu’au jour dit, ils purent frapper comme la foudre.
Partout
dans le pays, une même aube, ces ouvriers venus d’Axoum se trouvèrent soudain
vêtus de tuniques de cuir, armés de haches, de lances et de masses à tête de
bronze. Des chameaux de combat et des chevaux apparurent comme sortant du
néant, montés par des officiers, l’épée nue au poing.
Partout
dans les villes le mouvement fut le même. Au lever du soleil, la garde royale
de Tan’Amar tenait déjà les places et les portes. Dans les campagnes, les
villages, les masures et les clairières où se dissimulaient espions et servants
d’Arwé furent encerclés.
Ce fut à
peine un combat, plutôt un vrai massacre. Tous les lieux secrets furent
investis. La surprise fut absolue. Les officiers de Tan’Amar avaient reçu
l’ordre d’épargner les habitants de longue date qui s’étaient laissé tenter par
les mensonges et les calomnies d’Arwé. Le sang des autres coula sans pitié et
rares furent ceux qui parvinrent à s’échapper.
Avant le
milieu du jour les cadavres furent empilés aux portes des villes et sur les
places des entrepôts. On y ajouta le contenu des temples secrets, les offrandes
et les quelques serpents retenus en cage qui servaient aux cérémonies. Ces
amoncellements furent recouverts de bitume dans lequel on jeta des torches, et
le peuple fut convié à admirer les brasiers.
Une
pestilence acre et nauséeuse se répandit dans le ciel de Saba. Par endroits,
d’une colline à l’autre, d’une vallée à l’autre, on pouvait
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