La reine de Saba
potences.
Akébo le
Grand, hurlant, lançait déjà son cheval dans un galop. L’épée allongea son
bras, éblouissante dans le soleil. Il l’abattit, se ployant sur l’encolure de
sa monture. Un coup, dix coups. Tranchant et tranchant le monstre.
Peu de
sang gicla. Les morceaux aux blessures béantes, bizarrement pâles, demeuraient
animés de soubresaut, gigotant en tous sens comme s’ils ne se résolvaient pas à
la mort.
Après
avoir enfoncé une fois encore sa lame dans les yeux du python autant que dans
la poitrine de sa proie, Akébo galopa vers ses guerriers, attrapa une torche
que lui tendait un officier et la jeta sur la paille.
En un
instant, la fumée puante s’éleva d’Axoum comme des autres cités.
Akébo
revint galoper devant le peuple ébahi et terrorisé.
— Respirez
bien l’odeur d’Arwé l’invincible, hurla-t-il, et souvenez-vous-en. C’est le
fond de son âme et de ceux qui l’adorent qui va souiller le ciel comme votre
gorge.
Il cria
encore que l’haleine véritable de Saba se respirait dans les sanctuaires
d’Almaqah.
— La
myrrhe et l’encens ne parfument que la paume d’Almaqah, vociféra-t-il. Les
saisons qui passent sont le souffle d’Almaqah sur notre nuque. Il nous ploie
l’échine pour que nous accueillions sa bonté et sa puissance. À genoux, pour
lui en rendre merci ! Et rappelez-vous qu’Akébo le Grand n’a qu’un maître,
qui ne pardonne rien aux traîtres de Saba.
À peine
ces mots tombés sur le peuple agenouillé, il fit pivoter son cheval. Son épée
brilla encore. Son cheval bondit sur les trois pendus qui avaient échappé au
python et étouffaient dans la fumée du feu.
Sans même
ralentir sa monture, Akébo trancha d’un seul coup les trois gorges. Le sang
gicla si fort qu’il repoussa un instant les flammes du bûcher.
Le silence
s’appesantit sur le peuple. On n’entendit plus que le crépitement de la paille
et de la chair embrasée.
Sur les
murs de ronde du palais, Makéda avait tout vu. Depuis un moment déjà, elle
pressait la main de Kirisha à s’en faire blanchir les ongles. Kirisha elle-même
avait clos les paupières.
Les
paroles d’Akébo frappaient leurs poitrines comme des pierres. Et lorsqu’elle
vit basculer la tête des pendus, Makéda ne put retenir un gémissement.
Himyam,
qui n’était pas loin et avait contemplé l’ouvrage de son roi en opinant, tourna
sa grimace ironique vers elle. Avec beaucoup de calme et sans baisser la voix,
il déclara :
— La
sagesse des rois est un savoir cruel.
7
Axoum
Une lune
fut encore nécessaire pour achever le temple de Râ.
Chacun put
alors découvrir sa forme incongrue. L’immense esplanade vide était surmontée,
sur un côté, d’un tumulus de pierres taillées. Sa forme trapue était celle d’une
pyramide. Quatre pans massifs se rejoignant en une seule pointe et sur lesquels
le soleil, au cours du jour comme des saisons, ferait infiniment varier le
dessin de ses ombres.
Pas de
colonnades ni de toiture aérienne. Pas de sanctuaire ouvert aux regards,
accueillant les fidèles, les prêtres et les paniers de sacrifice. Rien de ce
que l’on connaissait. Au contraire, une masse lisse, tassée sur elle-même et si
bien close qu’elle ne disposait que d’une unique et étroite ouverture placée
dans l’axe de cet escalier sans fin qui, depuis la pente de la colline,
tranchait la plate-forme.
L’étonnement
et la curiosité ne suffirent pourtant pas à donner aux habitants d’Axoum le
désir de le gravir. Dans la ville royale comme dans le reste du peuple, les
paroles d’Akébo devant le python d’Arwé dépecé demeuraient vives et lourdes de
menaces.
Chacun
avait compris qu’un seul dieu régnait sur la sauvegarde de Saba : Almaqah.
Le temple de Râ n’était qu’une faveur accordée à Pharaon, afin qu’il n’avance
pas son poing sur le pays, et que la paix nécessaire au commerce et à la
richesse perdure.
Himyam, à
la suite du massacre des servants d’Arwé, avait lancé subtilement, par
l’intermédiaire de quelques serviteurs fidèles, une rumeur propre à consolider
cette opinion.
Si la fille
d’Akébo le Grand, Makéda, fille de Bilqîs, sacrifierait bientôt à Râ, c’était
parce qu’elle seule, par le chant de ses mots, saurait tenir front au dieu
d’Egypte. Elle saurait, sans le courroucer, l’invoquer et le chérir alors
qu’elle demeurait dans son cœur une pure servante d’Almaqah.
Aussi,
c’est étrangement seule
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