La reine de Saba
unies. Le peuple de Maryab s’est lassé de Shobwa. Ils sont
puissants et fragiles comme un vase vide. Tu frappes le col, il se fend. Tu
frappes une seconde fois, au ventre, il se brise.
— C’est
ce que tu dis à ma fille ? Sans m’en parler ?
— Je
savais que tu ne voulais pas la guerre. Je lui ai fait prendre patience. Mais
la patience a une fin. Ceux de Maryab doivent apprendre qu’Akébo est toujours
celui qui plante une flèche à treize toises.
— Combien
ont-ils de temples pour Arwé ?
— Peu.
Un dans le port de Sabas, et deux autres à Yeha et Lalibela. Ce ne sont que des
caves ou des masures. Le plus souvent, ils sacrifient dans des champs près des
villages. On raconte que parfois ils exigent des nouveau-nés pour nourrir leurs
serpents.
Akébo se
tut. Dehors, les cris indiquaient que les hommes avaient repris l’entraînement.
Il rit soudainement et frappa l’épaule de Tan’Amar.
— Si
tu me convaincs de couper la tête d’Arwé, comme elle dit, crois-tu que Makéda
t’acceptera pour époux ?
Malgré
l’amusement, ce n’était pas une moquerie. Plutôt une parole entre hommes,
complice comme elle peut l’être entre un père et un fils. Tan’Amar hésita,
inclina la nuque avec embarras.
— On
peut savoir ce qui court dans la tête de ta fille, mais pas dans son cœur. On
écoute ses chansons. On voudrait seulement l’entendre chanter la nuit autant
que le jour.
5
Axoum
Le
lendemain, Akébo était étendu sur sa couche, prenant son repos de l’après-midi,
lorsqu’il perçut son pas et bientôt respira son parfum. Les volets de la
chambre royale étaient clos. Elle se déplaçait dans la pénombre sans effort,
silencieuse, ne laissant pas aux servantes le soin de déposer des fruits et des
gâteaux pour son réveil.
— Kirisha…
— Tu
es réveillé, mon seigneur ?
— Approche.
Quand elle
fut assez près, il lui prit la main, l’obligea à s’asseoir à son côté. Sans un
mot de plus, dans la pénombre, il caressa son visage, frôlant le front, la
tempe. La douceur de la joue. Elle pressa sa main contre ses lèvres pour la
baiser. Il sut qu’elle fermait les yeux, abandonnant le poids de sa tête dans
sa paume.
Il
approcha son visage pour lui embrasser la nuque et respirer mieux son parfum.
Elle se laissa aller contre lui. Le Poids de sa poitrine contre la sienne. Il la
trouvait brûlante comme une lumière de beauté, alors qu’il se sentait froid et
las.
— Tu
es belle et douce comme au premier jour, Kirisha. Mon désir de toi est aussi
comme au premier jour. Mais mes jours sont vieux.
Elle eut
un grondement amusé qui fit vibrer leurs deux poitrines.
— Tes
jours sont aussi longs que les miens, mon roi. Nos rides usent du même temps
pour se creuser. Sauf qu’elles rendent un homme beau et sage tandis que nous,
les femmes, nous sommes seulement vieilles…
— Tu
ne l’es pas.
— Il
s’en faut de peu.
— Et
moi, il s’en faut de beaucoup que je sois aussi sage qu’on le croit.
Elle rit
avec tendresse, lui baisa les yeux et lui caressa le torse en amoureuse.
— N’est-ce
pas la plus grande sagesse que de le reconnaître ?
Il sourit
et accueillit le baiser qu’elle lui offrait. Les lèvres de Kirisha avaient,
même au plus chaud des saisons, la fraîcheur des aubes.
— Sais-tu
que plus le temps passe, plus je ne peux songer à toi que comme à une
épouse ? Tu es ma reine et je ne sais pas le dire devant tous.
À nouveau
elle l’embrassa, le caressa, nouant sa souplesse et son désir au sien.
— Il
y a longtemps que cela n’importe plus. Que je sois ta reine quand les volets
sont clos sur nous me suffit.
La main
d’Akébo était si large qu’il pouvait lui tenir les reins d’une poigne. Elle
frémissait à chacun de ses baisers.
— Je
vais faire la guerre parce que ma fille le veut. Kirisha attira sa tête contre
ses seins, ainsi que les mères apaisent leurs enfants. Elle lui embrassa les
tempes, nouant ses bras à ses épaules, si larges qu’elle n’en pouvait faire le
tour.
— Makéda
est ton sang et ton esprit, murmura-t-elle. Elle est ton royaume plus que le
royaume de Saba.
Ils se
turent un instant, les yeux rivés l’un à l’autre, les lèvres tremblantes,
commençant la chevauchée. Kirisha retrouva sa voix pour murmurer :
— Tu
n’as rien à craindre. Les dieux étendent leurs paumes sur elle. Je le sais
depuis la première fois que je l’ai tenue dans mes bras.
Akébo
reprit
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