La reine de Saba
apercevoir ces
colonnes de fumée, noires et puantes, s’élever dans le ciel, si nombreuses
qu’elles formaient des nuées opaques. Le soleil les perçait à peine. Au soir,
la puanteur retomba. Les officiers allèrent, criant et riant :
— Voilà
l’odeur d’Arwé qui vous revient au nez, bonnes gens ! Goûtez au fumet de
ses mensonges si le cœur vous en dit !
Sur les
rives de la mer Pourpre et dans le port de Sabas, les brasiers furent augmentés
de tous les déchets que l’on put trouver. La volonté d’Akébo et de Tan’Amar
était que, depuis leur rive, les traîtres de Maryab puissent contempler ces
nuées de mort.
À Axoum,
on ne trouva aucun temple et à peine une poignée d’espions. Cependant Himyam et
Akébo organisèrent un grand spectacle aux portes de la cité.
Bien des
jours plus tôt, un serpent python de plus de vingt coudées de long et au corps
plus large que la cuisse d’un homme avait été capturé dans la jungle épaisse de
l’Ouest. Il avait fallu une trentaine de chasseurs et autant de mules pour le
transporter dans les caves du palais. Enfermé dans une cage, on l’avait laissé
jeûner en secret toute une lune.
Ce jour
dit du massacre d’Arwé, la cage fut transportée dès l’aube à la sortie du
palais. On la plaça au centre d’un grand cercle de paille mêlé de bitume où les
charpentiers avaient érigé des potences.
Dans
l’après-midi, convoqués à coups de trompe, les habitants de la ville se
retrouvèrent là, hommes comme femmes, nourrissons ou vieillards. Chacun alors
mesura la faim d’Arwé.
*
**
Les espions
de Shobwa capturés dans Axoum à l’aube, ils étaient six, furent suspendus par
les pieds aux potences. Et sous eux, la cage du serpent fut ouverte.
Deux des
pendus se mirent à hurler. Le visage cramoisi, ils supplièrent et gémirent. On
entendit leurs prières :
— Arwé !
Arwé ! Dieu tout-puissant, je suis à toi ! Je suis ton fidèle,
fais-moi vivre !
Leurs cris
excitèrent l’attention du python. Avec une stupéfiante rapidité pour sa taille,
il les enveloppa de ses anneaux. Il était assez immense pour se lover sur deux
proies à la fois, prenant son temps pour les broyer. Ses anneaux brillaient au
soleil, couleur de bronze. Ses écailles frémirent sous la puissance des
muscles. Longtemps, il serra, malaxa, laissant glisser des éclats de soleil sur
sa queue. Les autres pendus pleuraient, priaient en murmurant :
— Arwé !
Arwé, tu es invincible, tu es le plus grand et le plus fort ! Arwé,
laisse-nous la vie !
Le peuple
d’Axoum, tremblant des pieds à la tête, se mordant les lèvres d’effroi, put
entendre les os des espions se briser, un à un, réduisant les hurlements au
silence.
Quand ce
fut fait, le python ouvrit une gueule qui fit reculer la foule. Une gueule de
monstre. Elle béait d’un rose obscène dans le bronze lumineux du corps. La
langue, d’un rouge si sombre qu’il paraissait noir, y vibrait tel un fouet. Les
dents acérées, d’une pâleur malsaine, dessinaient un arc parfait. Les mâchoires
jouaient de telle sorte qu’elles paraissaient se disjoindre, s’ouvrir assez
pour engloutir la tête puis les épaules d’un homme.
Les
anneaux du python abandonnèrent les corps brisés et sans vie des espions. Ils
glissèrent sur la paille avec une lenteur épouvantable. Un instant, il sembla
que le monstre somnolait, épuisé ou ennuyé.
Puis sa
tête se leva. Plusieurs dans la foule furent certains que les yeux, de la
taille d’un poing d’enfant, les fixaient. La langue gicla de la gueule qui se
tendit vers le plus proche des pendus. En un instant elle l’enfourna.
Un cri
d’épouvante parcourut l’assistance. La tête, la gorge, tout le corps d’écailles
du boa se dilata, épousant la forme de l’homme qui y disparaissait.
C’est
alors, à treize toises de là, à la porte même du palais, dressé sur les étriers
de cuir de sa selle et la main gantée, qu’Akébo le Grand banda son arc. Malgré
le murmure de terreur qui roulait sur la foule, on entendit le boyau se tendre
et les cornes de gazelle vibrer.
La flèche
vola haut, s’abattit avec tant de puissance qu’elle traversa de part en part le
serpent et l’homme qu’il avalait. Une deuxième puis une troisième flèche
volaient déjà. Tchak ! Tchak !
Elles
frappèrent le serpent avant qu’il roule au sol, secouant ses anneaux avec tant
de violence qu’ils brisèrent les poutres d’une des
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