La reine de Saba
corvée royale pour les
cinq années à venir. Deux à trois cents charpentiers furent retenus après avoir
fait preuve de leur savoir.
Dans le
port, elle fit agrémenter une modeste maison pour elle et ses servantes. Elle y
séjournait maintenant depuis cinq lunes. Il n’était pas de jour sans qu’elle
visite les ateliers, les bassins et même les entrepôts. Elle louait volontiers
le travail accompli. Mais pour un retard ou une malfaçon, elle punissait et
bannissait du chantier sans une hésitation. Désormais, nul n’osait relâcher son
effort.
Ainsi
commença la rumeur. Saba avait désormais une reine qui valait un roi. La fille
de Bilqîs de Maryab était élue des dieux. Le sang guerrier d’Akébo son père
coulait à flots dans son corps, et avec autant de vigueur que si elle possédait
celui d’un homme. Sa beauté de femme était trompeuse. Son jeune âge était un
leurre. Toute son apparence était un piège. Almaqah lui accordait la puissance
de l’univers et Râ la voilait sous la beauté du jour. Mais gare à celui qui se
laissait aveugler !
Alors
qu’il s’inclinait devant elle sur la terrasse, Abo-aliah, chef des
charpentiers, avait tout cela en tête. Il n’avait jamais trouvé d’occasion de se
plaindre d’une injustice mais, comme tous sur le chantier, il craignait chaque
mot qui passait la bouche si fraîche et si tendre de sa reine.
— Les
entrepôts ont tenu, ma reine, s’empressa-t-il de répondre. La crique était plus
à l’abri que le grand port. La colère d’Almaqah ne l’a qu’effleurée. Et la
digue nouvelle a brisé les vagues sans rompre. Les architectes ont bien fait
leur travail. Pour le reste, nous avons veillé toute la nuit. Les charpentiers
ont eu le temps de démonter les mâts et de lier des outres aux plats-bords
avant le gros de la tempête. Les chocs n’ont engendré que peu de dégâts. Nous
avons renouvelé les amarres des trois bateaux déjà à l’eau dès qu’elles
menaçaient de casser.
Makéda
adressa un regard de soulagement à Tan’Amar.
— C’est
bien, Abo-aliah. Dis aux hommes que je me souviendrai de leurs efforts.
Le chef
des charpentiers s’inclina en balbutiant des remerciements, reculant déjà pour
se retirer. Scrutant à nouveau les masures en ruine au-delà de l’enceinte,
Makéda le retint.
— Abo-aliah,
fais cesser le travail du chantier pour quatre jours. Prenez tous du repos
jusqu’au zénith, puis vous irez aider ceux qui ont perdu leur toit et leurs
récoltes.
Abo-aliah
la contempla avec surprise, incapable de la moindre réaction.
— Va,
je n’ai plus besoin de toi.
Le petit
homme traversa la terrasse en sautillant dans le vent. Tan’Amar demeura près de
Makéda, un peu raide, la main sur la murette, le visage figé par l’admiration
et par autre chose encore qu’il peinait à dissimuler.
Makéda
portait désormais la coiffure longue et bouffante des prêtresses de Râ. Un
anneau d’or serrait sur son front cette ample masse frisée, mais pas assez pour
empêcher le vent furieux de l’agiter en tous sens. Elle n’allait plus sans une
courte masse d’ébène recouverte d’or et surmontée par un mufle de taureau dont
les cornes retenaient le disque solaire de Râ.
Sous les
tuniques, on devinait un corps de femme. Une poitrine qui tendait les tissus,
des hanches qui retenaient un pli. Sa peau noire paraissait plus lumineuse,
d’un grain si fin que l’on pouvait craindre qu’il ne se déchire.
— C’est
une bonne décision qui te fera chérir longtemps, énonça enfin Tan’Amar.
Makéda
parut à peine l’entendre, les yeux perdus sur la mer jonchée de débris.
— La
tempête a été terrible, murmura-t-elle comme pour elle-même. Mais elle était
belle, aussi. Comme si Almaqah se
plaisait à jouer avec nous.
Tan’Amar
ne comprit pas immédiatement qu’elle chantonnait. Le vent emportait un peu de
sa voix.
Ô moi,
muraille qui suis venue du désert. Muraille de colère, tour des vengeances
contre ma poitrine douce, je viens vous réveiller de ma main gauche. Au jour du
bonheur nous sortirons dans les champs, nous passerons dans les villages, nous
serons le vent précieux.
Elle se
tut. Ébranlé par les mots plus encore que par le vent de fin de tempête,
Tan’Amar craignait à présent de lui faire face. Ce n’était pas souvent qu’il
avait l’occasion de voir et d’entendre sa reine chanter ainsi, même s’il savait
par Kirisha la beauté de ses chants qui ravissaient
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