La reine de Saba
passion.
Accroupie
dans un coin de la chambre royale, Makéda demeurait silencieuse, immobile, aux
aguets.
Partout
dans le palais, la fumée des encens tournoyait au-dessus des autels d’Almaqah.
Dans l’enceinte du temple, les flammes du sacrifice dansaient haut dans les
coupoles de bronze tandis que dans le vestibule du sanctuaire, où Himyam
conduisait sans relâche le chant des prières, la myrrhe acre incendiait les
gorges et les narines.
Tan’Amar
avait disposé ses gardes aux portes du palais et dans les cours. Il allait des
unes aux autres en une ronde infernale, comme si une armée de démons menaçait
Axoum. Seul, isolé sur la terrasse de la chambre royale, Myangabo s’était
affalé à nouveau sur ses coussins et demeurait tremblant, ingurgitant, sans
plus s’en rendre compte, une bière trop chaude qui l’enivrait et le poussait à
des marmonnements incompréhensibles.
À la
tombée du jour, alors que le rouge du soleil nappait de pourpre les poutres des
plafonds, Akébo eut un soupir aigu. Un souffle étrangement paisible s’ensuivit,
son râle douloureux cessa. Puis un murmure passa ses lèvres sèches.
Kirisha
s’écria :
— Mon
époux, mon roi !
Makéda
était déjà debout, à son côté. Akébo ouvrit les paupières. Ses yeux brillaient
et se mouvaient comme s’ils cherchaient où se poser. Kirisha l’appela à
nouveau. Makéda saisit son poing amputé comme elle le faisait lorsqu’elle était
enfant.
— Mon
père bien-aimé, je suis là, moi, Makéda, ta fille.
Elles ne
furent pas certaines qu’il entendait.
Les
muscles de son cou se durcirent. Il voulut tourner la tête. Elle ne bougea qu’à
peine. Un marmonnement las mais distinct franchit sa gorge.
Il réclama
de l’eau.
On se
précipita.
Il but
lentement. La pénombre prenait possession de la pièce. Les traits de son
visage, pourtant si nets et si forts, paraissaient curieusement s’estomper.
Avec le même chuchotement calme qu’il avait réclamé à boire, il déclara :
— Je
suis dans la nuit. Mes yeux ne veulent plus rien voir.
Kirisha
approcha son visage du sien, chuchota qu’elle était là, là tout près, là pour
toujours mon amour.
— Sens
ma main, mon roi d’époux ! Akébo répondit, la mâchoire serrée :
— Je
t’entends, bien-aimée. Mes mains ne veulent plus de moi. Je ne te sens plus.
Kirisha se
mordit les lèvres, contraignit son visage dévasté à une grimace de sourire afin
qu’Akébo, même aveugle, ne devine pas son malheur.
— Je
te soigne, amour, mon roi. Je suis là, contre ta bouche. Tes mains sont dans
les miennes, je te sens pour nous deux !
Makéda
demeurait sans bouger, sans oser rompre ce chant des amants.
— Almaqah
n’est plus loin de moi, constata Akébo. Kirisha répondit :
— Akébo,
fruit de mon cœur, roi de ma vie, Almaqah ne t’emportera jamais assez loin pour
que je t’oublie. Tu coules dans le sang de mon corps.
Les
servantes voulurent apporter des lampes. Devinant Akébo réveillé, elles se
précipitèrent dans la pièce. Makéda les chassa avec colère. À cet instant, la
voix de son père l’appela :
— Makéda !
Reine de Saba, ma fille…
Elle
s’accroupit de l’autre côté de la couche, saisit les mains de Kirisha et de son
père entre les siennes. D’une voix trop aiguë et trop tremblante, elle
dit :
— Tu
t’es réveillé alors que le soleil du soir touchait les poutres, mon père. Râ
veille sur toi. Je vais courir au temple chanter et sacrifier pour qu’il garde
sa paume sur toi…
Akébo dut
faire un effort pour décrisper ses mâchoires et marmonner :
— Reste
près de moi. Râ ne se soucie que de Pharaon. C’est Almaqah qui vient me
chercher. Je le sais.
Kirisha
serra si fort les dents sur ses lèvres que le sang y perla.
— Épouse
de Maryab ! Épouse de Maryab, ne gémis pas, souffla Akébo comme s’il
devinait sa plainte. Toi non plus, fille d’Akébo. Sois prête. Accomplis ta
promesse. Le poison qui me tue est un poison de serpent.
— Shobwa
sera châtié, mon père. J’irai à Maryab châtier et venger. J’entrerai dans le
temple de ma mère Bilqîs.
Akébo ne
répondit pas. Makéda crut qu’il n’avait pas entendu.
Kirisha
dégagea ses mains et enlaça son amour comme s’il risquait de tomber.
Sur le pas
de la porte se tenaient maintenant Myangabo et Himyam. À la vue des deux femmes
accroupies autour du roi, ils n’osaient plus franchir le seuil, retenant
derrière eux
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