La reine de Saba
nom.
Il y eut
encore un silence. Makéda devina Kirisha qui se raidissait à côté d’elle. Mais
Akébo demanda :
— Tu
m’as embrouillé, scribe. Ce Salomon, est-il fils de Râ, comme Pharaon ?
La réponse
allait jaillir des lèvres d’Elihoreph. À temps, son fils A’hia lui heurta le
bras. Le vieil homme comprit, posa la question à Zacharias, qui protesta avec
vigueur :
— Zacharias
dit : Yahvé est le dieu des Hébreux et seulement des Hébreux, l’Eternel
dans tous les cieux. Il est le dieu de Moïse et d’Abraham, les pères de nos
pères, le dieu de l’Alliance et des prophètes. Jamais il ne fut le dieu de
Pharaon. Au contraire, le Tout-Puissant a dressé le bâton de Moïse contre Pharaon…
— Tais-toi !
Pas tant de mots. Tu me fatigues. Les dieux sont les dieux et je sais qui est
Pharaon.
La voix
d’Akébo était soudain lourde et brutale. Tous les assistants se tournèrent vers
lui. Il empoigna le manche de la dague toujours fichée dans la table et tenta
de la retirer du bois. Sans y parvenir. Un grognement de colère roula dans sa
poitrine. Il laissa retomber sa main sur ses genoux.
Kirisha
enfonça ses ongles dans le poignet de Makéda qui voyait les perles de sueur
recouvrir le front et les tempes de son père. D’un coup, sa peau parut terne et
sembla engloutir la lumière du jour.
Avec un
effort bien visible, Akébo désigna Zacharias du menton et demanda :
— Que
faisait-il sur la mer ?
Élihoreph
aussi avait deviné la fatigue soudaine de son maître. Il hésita. Dressé sur ses
coussins, Myangabo claqua de la langue en roulant des yeux. Le vieux scribe
souffla la question à Zacharias. Sa réponse parut bien longue.
— Zacharias
dit : Je navigue sur les mers au nom de mon roi Salomon. Sa curiosité n’a
pas de fin. Il aime tout savoir de ce qui l’entoure. Il aime aussi faire du
commerce quand cela se peut. Des choses précieuses se trouvent ici et pas là.
Des arbres poussent dans ce pays-ci et pas dans celui-là. On raconte qu’au sud
de la mer il existe un pays qui se nomme le pays de Pount. On y trouve de l’or
et des encens en quantité. Salomon souhaite de l’or pour embellir le Temple
qu’il érige à Jérusalem. Et aussi de l’encens et de la myrrhe pour que les
prêtres puissent sacrifier à Yahvé, car la coutume veut qu’on offre à
l’Éternel…
D’un
souffle rauque, Akébo l’interrompit :
— Vous
êtes un peuple de bavards. Et votre dieu unique a beaucoup trop de noms !
Il chercha
un ricanement au fond de sa poitrine. Il n’en tira qu’un soupir.
Tan’Amar
surveillait chacun de ses gestes. On le devinait prêt à le soutenir. Akébo
gronda à l’adresse de Zacharias :
— Moi,
je suis Akébo le Grand, fils de Hagos, roi de Saba. Je connais tous les peuples
qui entourent mon royaume du lever au coucher du soleil. Il n’existe nulle part
de pays de Pount. C’est ici, à Saba, le royaume de l’or et des encens…
Ses mots
se suspendirent, sa bouche demeura béante. La sueur à présent ruisselait sur
ses joues. Le souffle rauque, le poing pressé sur sa poitrine, il bascula sur
le côté en s’agrippant à Tan’Amar.
Les
servantes poussèrent le même cri que Kirisha.
Myangabo,
malgré sa corpulence, fut debout aussi promptement qu’Himyam. Il héla les
gardes. Sans ménagement, Zacharias et les scribes furent repoussés hors de la
terrasse.
Une bave
amère et puante coulait des lèvres d’Akébo. Ses poings retenaient si violemment
les bras de Tan’Amar qu’il l’immobilisait dans une posture grotesque, comme
s’il cherchait, une dernière fois, à vaincre un ennemi.
Il fut
difficile de le placer sur le brancard que les gardes apportèrent en courant.
Figé sur
son bâton telle une statue d’Egypte, Himyam les regarda tous disparaître en
grimaçant plus horriblement qu’on ne l’avait jamais vu.
Malgré les
compresses, les baumes, les onguents, les encens, Akébo lutta jusqu’au soir
pour seulement faire aller et venir son souffle. Il paraissait ne plus
entendre, ne plus rien voir, ne plus rien sentir. Par instants son puissant
corps se tendait, plus dur qu’un bois lavé par la pluie. Un râle lointain,
incessant, vibrait dans sa poitrine. Sous ses paupières, ses yeux tournaient
telles des billes folles.
Kirisha
ravalait ses larmes, le caressait, incapable d’ôter les mains de son corps. Et
quand elle trouvait ses paumes trop inutiles, elle y posait la bouche en longs
baisers de
Weitere Kostenlose Bücher