La reine de Saba
et l’on entendit même le caquètement rare et bizarre qui
sortait de la bouche d’Himyam.
Les
scribes et l’étranger cessèrent leur danse de retrouvailles. Ils regardèrent
autour d’eux avec des mines effarouchées. Elihoreph frappa rudement l’épaule de
son fils, l’écartant de l’étranger.
— Pardonne-nous,
puissant seigneur, dit-il aussitôt que le vacarme des rires s’apaisa. Cet homme
vient du pays des pères des pères de nos pères ! Le voir est une émotion
qui nous rend à l’enfance… Loué soit mille fois l’Éternel ! C’est la première
fois que le Tout-Puissant veut bien nous permettre de rencontrer en chair et en
os un Hébreu venu du royaume d’Israël.
Le bâton
d’Himyam frappa durement les briques du sol. Le coup résonna dans le silence
revenu.
— Surveille
ta bouche, scribe. C’est ton roi et ta reine que tu dois remercier, car ils
sont sous la paume d’Almaqah et de Râ. Il n’y a pas ici d’autre Tout-Puissant
ni d’Éternel.
Élihoreph
bascula le buste sans protester. A’hia ouvrit une bouche qu’il referma
promptement. L’étranger, dont le regard vif courait d’un visage à l’autre,
jugea bon d’incliner le front.
Un sourire
plissait encore les joues d’Akébo. Il reprenait son souffle avec un peu de
lenteur. Il leva sa main aux deux doigts, apaisa la colère d’Himyam d’un signe.
— Scribe,
demande son nom à l’étranger.
— Il
vient de me le dire, tout-puissant seigneur : Zacharias ben Noun, fils
d’Éliah, fils de Josué. Il vient du royaume de Juda et Israël, la nation des
Hébreux.
— Où
cela se trouve-t-il ?
— Tout
au nord, seigneur. Au levant du pays de Pharaon. Il y a là-bas une mer. On
l’appelle la Grande Mer. Le royaume de Juda et Israël la borde pour une partie.
— Et
son roi, celui qui a écrit la lettre, se nomme Salomon ?
— Oui,
seigneur. Salomon, fils de David le prophète, fils de Jessé, fils de Booz et de
Ruth la Moabite.
Akébo
fronça les sourcils. Il ouvrit la bouche, mais ce fut pour mieux respirer.
Soudain, sa bonne humeur parut enfuie.
— Ce
n’est pas toi que j’interroge, scribe, grommela-t-il avec agacement. Pose mes
questions à l’étranger.
La voix
basse, Élihoreph s’empressa d’obéir. Le naufragé répondit en prenant soin de
s’adresser à Akébo et de ployer la nuque avec respect avant même que le vieux
scribe ait traduit ses paroles.
— Zacharias
dit : Mon roi se nomme Salomon, fils de David…
— Ça
va, j’ai compris.
Cependant,
malgré le ton rude d’Akébo, l’étranger n’attendit pas qu’on lui pose une
nouvelle question. Il se mit à parler à grands flots, si bien qu’Elihoreph dut
le faire taire pour traduire avant qu’Akébo manifeste son impatience.
— Seigneur
tout-puissant, Zacharias dit aussi : Salomon te salue, puissant seigneur,
par ma bouche et par mon cœur. Salomon te souhaite mille ans de vie et de
bonheur. Salomon te souhaite la paix et ne veut avec toi rien d’autre que la
bonne entente et les échanges qui forgent les amitiés. Salomon est connu dans
tout le Nord comme un roi de grande sagesse.
S’ensuivit
une avalanche de paroles où l’on comprenait que Salomon était un roi brillant
au ciel comme une étoile, aussi savant que les plus sages de ses prêtres
parlant plusieurs langues, écrivant des livres comme seuls les grands prophètes
savent en écrire, un né pour régner, un sans pareil, un juste vénéré pour sa
justice, le meilleur des rois que la terre de Juda et Israël bénie par Yahvé
ait porté, meilleur même que son père David pourtant grand parmi les grands et
qui avait su unir les frères ennemis de Juda et Israël en guerre depuis des
générations, en vérité la sagesse de Salomon était si grande, sa renommée si
célèbre qu’on venait de partout pour l’écouter et l’admirer et que Pharaon
lui-même avait voulu s’en faire un ami et lui avait donné sa fille pour épouse.
Il y eut
un silence. Les doigts noueux d’Elihoreph se perdirent dans sa longue barbe qui
s’agita de petits soubresauts.
Les
paupières d’Akébo étaient curieusement plissées. On ne devinait plus qu’à peine
son regard qui pesait toujours sur Zacharias. On aurait pu croire qu’il s’était
endormi.
L’Hébreu
inclina un peu le front, inquiet. Mais Akébo passa la main droite sur son
visage, souleva ses paupières et grommela :
— Pas
si grande que ça, sa renommée. Moi, je n’ai jamais entendu son
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