La reine de Saba
pointe de reproche. Tan’Amar tourna les yeux
vers elle pour s’en assurer. Mais ils avançaient dans une zone d’ombre, les
flammes des torches n’éclairaient qu’à peine les dalles du sol. Le visage de
Makéda était invisible. Elle devina pourtant ce qu’il pensait.
— Ne
te laisse pas prendre par le doute, reprit-elle dans un murmure. Surtout pas
cette nuit. Tu es ce que j’ai de plus précieux. Je ne suis pas reine sans toi,
comme tu n’es pas général sans moi. Et chacun sait que là où tu es, la reine de
Saba se trouve aussi.
À nouveau,
il ne sut que répondre. Quand ils avancèrent dans plus de lumière elle lâcha sa
main, demanda sur un ton redevenu normal :
— Les
birèmes sont sorties du port comme convenu ? Surpris par ce changement
d’attitude, Tan’Amar hocha la tête avant de marmonner :
— Dès
le noir de la nuit. Elles doivent déjà être en place.
— C’est
bien. Surveille ce jeune Tamrin. Il me plaît. Il est plein de fougue et de
courage. Mais il ne doit pas commettre d’erreur. Ce qu’il accomplira demain
nous conduira à la victoire ou à l’échec.
Ils
étaient parvenus au bas de l’escalier conduisant à la terrasse du petit palais.
Des servantes y attendaient leur maîtresse avec des lampes à huile suspendues à
de courtes hampes. Makéda croisa le regard de Tan’Amar. Ce pouvait être un
effet de la pauvre lumière, mais il crut lire un doux éclat de tendresse dans
les yeux qu’il admirait tant.
— Va.
Et quand tu auras inspecté le port, prends un peu de repos avant l’aube. Je te
veux vivant pour l’éternité. Moi, j’ai encore des questions pour ces Hébreux
qui sont si fiers de leur roi Salomon. Si ce qu’ils disent est la vérité,
peut-être bien que cet homme est sans pareil.
Cela était
lancé avec désinvolture. Sous l’effet d’une curiosité légère. Pourtant, sans en
comprendre la raison, et malgré tous les signes d’affection qu’il venait de
recevoir, Tan’Amar ressentit sur-le-champ la piqûre glacée de la jalousie.
***
Makéda
trouva Zacharias et les scribes plongés dans une profonde somnolence. Élihoreph
avait enfoui son visage dans sa barbe. A’hia, dont le petit bonnet brodé avait
glissé de son crâne dégarni, ronflait à grand bruit. Zacharias tentait vaille
que vaille de se redresser dès que son buste basculait en avant, ce qui lui
donnait l’apparence d’un homme saisi d’un hoquet démentiel.
Les mèches
des lampes, dont l’huile était allégée de résine de ladan, éclairaient la scène
de leurs flammes vives et dorées. La fumée en était abondante, virevoltant en
petits nuages bleutés au-dessus des trois hommes sans les maintenir éveillés
malgré son parfum acre.
Dissimulées
sur le seuil de la terrasse, les jeunes servantes les épiaient, chuchotant des
plaisanteries et retenant mal leurs fous rires. À l’approche de leur reine,
elles s’égaillèrent dans l’obscurité telle une volée de serins.
Makéda
considéra les Hébreux avec amusement. Elle s’assit dans les coussins, réclama
une infusion de thym brûlant en claquant fortement des mains.
Le bruit
tira Zacharias de son sommeil. Il bondit sur ses pieds, l’esprit aussi brouillé
que le visage. Il se lança dans une salutation incompréhensible. Toute cette
agitation réveilla enfin Élihoreph et son fils. Debout à leur tour, ils
écarquillèrent les paupières, reprenant conscience avec peine et s’affolant de
découvrir où ils se trouvaient.
Makéda
dit :
— Cessez
de vous alarmer, la reine de Saba n’est pas un démon. On va vous apporter une
infusion de thym. Rien de tel pour éloigner le sommeil. Et asseyez-vous, il n’y
a pas de serpents sous les coussins.
Quand ils
eurent obéi, elle fixa le vieil Élihoreph.
— Je
veux que ce Zacharias de Juda et Israël me parle de la sagesse de son roi
Salomon qu’il trouve si fameuse. Je n’ai jusqu’à présent rien entendu de très
sage. Pour ce qu’il m’en a raconté, son roi est un homme de ruse, ce qui n’en
fait pas une exception. Et sa gourmandise ne lui confère pas à mes yeux une si
grande intelligence !
Zacharias
écouta les mots qui tombaient de la bouche d’Élihoreph sans masquer son
abattement. Mais les servantes apportaient déjà les gobelets fumants et
odorants et des petits fromages de chèvre roulés dans des brindilles d’alfalfa.
Il n’eut pas à répondre sur-le-champ.
Sans
attendre, Makéda trempa les lèvres dans la tisane
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