La reine de Saba
brûlante. Zacharias s’y
essaya. Le breuvage était bien trop chaud. La violence de son parfum,
cependant, acheva de lui rendre sa lucidité.
Les
sourcils haut levés, il chercha le regard de la reine de Saba à travers la
vapeur de la tisane et la fumée des lampes. Avec prudence et politesse, il
déclara :
— Tous
ceux qui l’ont approché en ont témoigné, puissante reine, il n’y a pas de roi
plus sage que Salomon !
— Ce
que tu dis n’est qu’un mirage de mots. Moi, je ne l’ai pas approché et ne peux
en témoigner. Toi, pour le flatter et te faire briller auprès de lui, tu peux
me raconter n’importe quoi.
Avec un
geste d’impatience qui agita en tous sens les volutes de fumée odorante, elle
ordonna :
— Bois.
Il faut boire le thym quand il brûle la langue. L’esprit va te revenir. Et
réponds-moi bien. Donne-moi donc un exemple de cette fameuse sagesse, et je
jugerai.
Zacharias
obéit, grimaça aussitôt, les yeux mouillés de douleur. Mais avant que la reine
de Saba ne manifeste son agacement, il déclara avec précipitation :
— Salomon
est si sage que le peuple le prend pour juge quand il y a dispute. Nul ne veut
se calmer avant qu’il ait tranché le bien du mal, le juste de l’injuste. Si
notre roi voulait suivre les désirs du peuple de Juda et Israël, il ne ferait
rien d’autre de ses nuits et de ses jours ! Juger et apaiser, punir et
récompenser… Un autre roi sans doute n’en verrait pas l’utilité. Mais Salomon
est bon. Certains jours et certaines heures, il va s’asseoir dans une salle.
Chacun, pauvre ou riche, petit ou grand, peut venir s’incliner devant lui avec
ses colères, lui demander justice et s’en repartir content. C’est ce qu’on
appelle chez nous le jugement de Salomon. Et pour le peuple de Juda et Israël,
il n’y a rien de plus haut, sinon le jugement du Tout-Puissant…
Makéda
reposa son gobelet brutalement.
— Je
ne te crois pas. Chacun ne s’en repart pas content, comme tu le prétends. Un
jugement ne plaît jamais aux deux parties, mais seulement à celui qui en sort
victorieux et à son avantage. Tu ne fais que bavarder, Zacharias de Juda et
Israël. Tu me crois une servante que l’on berce avec des contes. Gare à toi.
Trouve-moi un exemple de ce « jugement de Salomon », ou je décide que
tu n’es qu’un menteur qui ne possède pas même de roi.
Le ton et
la menace firent sursauter A’hia et Elihoreph. Les scribes, père et fils,
semblaient au plus mal et paraissaient tout craindre de l’acharnement qui
saisissait la reine de Saba.
La mine de
Zacharias ne les rassura guère. L’émissaire de Salomon, au contraire d’eux, ne
se montrait guère impressionné par cette remontrance. S’il avait l’air bien
éveillé, peut-être, en revanche, n’avait-il pas l’esprit assez clair pour
mesurer ses imprudences. Car aussitôt la remarque de Makéda comprise, il hocha
la tête sans grande révérence. Au contraire, il considéra la reine avec le
sourire éclatant de qui sait tenir la victoire dans sa main. Pis encore :
s’il n’y avait eu tant de pénombre et de fumée, la reine de Saba aurait pu voir
l’éclat d’orgueil qui agrandissait ses pupilles.
— Voici
ce qui est arrivé un jour, alors que Salomon s’était rendu dans la salle de
justice, annonça-t-il avec aplomb. Deux femmes arrivèrent en poussant de hauts
cris. Elles se jetèrent aux pieds du roi, inondant les dalles de leurs larmes
et de leurs crachats de haine. On les calme et on les contraint à faire les
salutations avec respect. Elles font. Sitôt après, les voici sur le point de se
déchirer la poitrine. Salomon se fâche, ordonne aux gardes de les séparer. Dans
le calme enfin revenu, il s’informe de la cause de ce charivari.
« Entre
sanglots et grondements, il apprend que les deux femmes pratiquent le même
métier dans une auberge. Elles n’y servent pas la soupe de fèves, mais plutôt
l’après-repas. Elles sont connues pour leur résistance à l’ouvrage et les
clients les plus offrants peuvent faire durer les plaisirs jusqu’aux deux tiers
de la nuit. Le hasard de ce commerce les a rendues mères dans le même mois, et
chacune d’un garçon.
« Sitôt
après l’enfantement, l’une comme l’autre retournent au labeur. Une nuit, voilà
que l’une des deux revient ivre près de son enfant. Elle s’affale sur sa couche
et ronfle aussitôt. Le nourrisson a une lune d’âge, à peine plus. Il cherche la
mamelle et la
Weitere Kostenlose Bücher