La reine de Saba
sagesse.
Elle se
leva comme si elle avait oublié les scribes et Zacharias. Elle s’avança sur la
terrasse, sa silhouette happée par la nuit sans qu’aucun des Hébreux ni des
servantes n’ose la suivre.
Parvenue à
la rambarde, elle respira avec plaisir l’air frais de la mer. Il chassait de sa
bouche et de ses poumons la fumée entêtante des lampes.
La lune,
en faible croissant, se levait à l’est. Là-bas, bien au-delà de la mer Pourpre,
au ras du monde et aussi mince qu’un fil de tapisserie, on percevait ce halo de
nuit pâlie qui annonçait, comme un messager trop pressé, le retour du jour.
Dans le
port, le vacarme de la préparation de la bataille s’était apaisé. Il n’y avait
plus qu’une vasque de bitume qui brûlait, éclairant à peine un bout de plage.
Un bruit
de rames dans l’eau du port attira son attention. Elle devina, dans le reflet
des étoiles, deux ou trois épaves de barque que l’on poussait vers le large.
Encore un
peu de temps et tout serait en place.
Sans
inquiétude, elle fouilla les ténèbres de la mer. Nul navire, nulle présence
discernable. Pourtant, elle devinait les ennemis sans les voir.
Ils étaient
là, dissimulés comme doivent se cacher le mal et la traîtrise. Eux aussi la
voyaient, certainement. Mais avec leurs yeux de fourbes. Sans peine, se
repérant aux lumières de Sabas comme on trouve son chemin grâce au
scintillement des lucioles dans les fossés.
Ils
devaient rire d’elle, songer qu’elle n’était pas comme son père, si difficile à
vaincre. Bientôt, ils sauraient. Elle les attirait comme les enfants attirent
les papillons de nuit dans une cage.
Il est un temps pour mettre en pièces, un
temps pour jeter les pierres, pour trancher les masques.
Nul ne
tient le pouvoir au jour de la mort, la méchanceté
n’est pas le bouclier du méchant.
Et toi,
roi peut-être sage, qui as pour toi le dieu de l’éternité, tu sauras que j’ai la paume d’Almaqah sur mon royaume.
*
**
Ni
Zacharias ni les scribes n’entendirent le murmure du chant de Makéda. Ils la
virent seulement réapparaître dans le halo lumineux des lampes, s’avancer vers
eux d’un pas si ferme qu’ils eurent un mouvement de recul. Avant même de
s’asseoir elle déclara :
— Les
traîtres de Maryab approchent, mais l’aube est encore loin. Nous avons le
temps. Je veux savoir comment ce Salomon est devenu roi.
Un même
gémissement de lassitude se glissa entre les lèvres des scribes, père et fils.
Makéda ne montra pas qu’elle les avait entendus. Elle maintint son regard sur
Zacharias. Il ne paraissait pas plus fatigué qu’elle. Parler de Salomon ne
l’épuisait jamais. Et il comprenait que la reine de Saba veuille en apprendre
davantage. Il hocha la tête et répondit avec sérieux :
— Comme
je l’ai dit à ton père défunt, Salomon est devenu roi par la volonté de son
père David, fils de Jessé. David fut un grand roi. Son nom signifie le
« Bien-Aimé ». Il eut quantité d’épouses et de fils. Mais il aima une
épouse plus que les autres : Bethsabée, la plus belle des femmes de
Jérusalem. Yahvé leur donna un fils, et c’est lui que David choisit pour
successeur entre tous ses descendants, très nombreux.
« David
avait beaucoup réalisé, beaucoup combattu, beaucoup vaincu. Il avait réuni Juda
et Israël après des siècles de disputes. Sur son lit de mort, avant de
rejoindre Yahvé, béni soit-Il, entouré de Sadoq le grand prêtre, de Nathan le
prophète, de Benaya le chef des gardes, David a pris la main du fils de
Bethsabée, a déclaré à haute voix : « Je m’en vais par le chemin de
tout le monde. Toi, tu régneras après mon nom sur Juda et Israël. Tu
t’appelleras Salomon, « Celui qui tient la Paix ». Car le premier nom
de Salomon était Yédidya, « l’Aimé de Yahvé ». Et ainsi il reçut
l’huile du tabernacle sur le front.
Makéda
soupira avec une moue désabusée, agita la fumée des lampes avec irritation.
Mon père
disait juste ! Les mots vous rendent fous.
Votre dieu
s’appelle comme ci ou comme ça. Et voilà que même vos rois changent de nom. On
ne s’y retrouve plus.
Les
Hébreux baissèrent le front. Pour une fois, Zacharias ne répliqua pas.
Makéda les
considéra en fronçant les sourcils.
— Alors
c’est tout ? Son père lui donne le nom de Salomon, le pousse sur sa chaise
royale et tout le monde est content ? Pas de jalousies, pas de
mesquineries, pas de protestations ?
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