La reine de Saba
soulignant la délicatesse de ses paupières. Elle laissa éclater sa colère.
— Votre
peur m’insulte ! Moi, fille d’Akébo le Grand, je ne verse que le sang des
traîtres. Ma dague ne transperce que les fourbes. Mon feu n’incendie que les
serpents. Vous qui avez les cheveux couleur du temps, souvenez-vous. Mon père
vous a-t-il porté tort une seule fois avant que les seigneurs de Kamna et
Kharibat ainsi que Shobwa complotent contre lui ? N’étiez-vous pas heureux
lorsqu’il régnait sur le royaume de Saba depuis les terrasses de Maryab ?
« Moi,
Makéda, fille de Bilqîs, je suis venue sur ce sol pour rétablir le juste
au-dessus de l’injuste. Je suis venue pour que la richesse de Saba profite à tous.
Je suis venue pour que la paume d’Almaqah s’étende sur vous, vos femmes et vos
filles. Celui qui pense que mon désir est de détruire m’insulte. La reine de
Saba est la source de son royaume. Elle ne lance pas la grêle sur son peuple.
Que chacun se souvienne :
La
sagesse est plus forte que la lame, la faute tue
plus sûrement que la dague.
La
mouche des enfers ruine l’huile de la myrrhe.
Le sot
est léger comme une plume.
Il
pèsera plus lourd dans la balance du mal que
sagesse et gloire !
Avant le
crépuscule, les portes et les volets s’ouvrirent. Les tables se garnirent de
victuailles et les nuques s’inclinèrent pour masquer les balbutiements honteux
qui bourdonnaient sur les bouches.
Un
marchand prospère offrit sa maison et ses serviteurs afin que la reine de Saba
dorme et gouverne sous un toit digne d’elle tant qu’elle demeurerait dans
Makka’h.
Deux jours
plus tard, les langues se déliaient pour de bon. Shobwa n’avait pas laissé de
bons souvenirs derrière lui. Il s’était imposé par la crainte et la force. Sa
colère s’était déchaînée en apprenant la défaite des navires des seigneurs de
Kamna et Kharibat devant Sabas. Il s’en était pris aux vieillards et aux
femmes, usant des plus jeunes pour son plaisir et semant l’humiliation dans les
familles.
Bien vite,
Tan’Amar apprit que Shobwa avait conçu un piège. Il avait disposé ses guerriers
dans les gorges du wâdi Asha’îl, l’unique passage dans la montagne conduisant à
Maryab. À mille coudées à l’est de Makka’h, la piste empruntait une faille
entre des falaises rêches et rouges. Shobwa y avait préparé le terrain. Il
avait posté ses archers au sommet des falaises, se donnant l’avantage sans
avoir à livrer un véritable combat en face à face.
— Si
nous avançons dans le défilé, les flèches et les pierres pleuvront sur nous
sans que nous puissions combattre, expliqua Tan’Amar. Et nos guerriers ne
pourront gravir en masse les falaises : les archers de Shobwa les
tireraient comme des brebis. Le piège aurait pu fonctionner s’il n’avait laissé
à Makka’h tant de gens qui le détestent.
— N’y
a-t-il pas d’autres voies ? questionna Makéda.
— Il
y en a certainement, mais qu’importe ? Nous ne voulons pas seulement
arriver à Maryab. Tu veux en finir avec Shobwa, et ce serpent le sait.
Tan’Amar
avait alors demandé à Makéda de lui accorder un peu de temps.
— Il
faut de la patience. Laissons-le griller sur les falaises. Le plateau y est nu,
les buissons n’abritent que les serpents. Il y sera en famille. L’ombre y est
aussi rare que l’eau. Je vais y faire monter des guetteurs qui se relaieront
pour observer ses mouvements. Tous les jours, nous irons nous montrer à
quelques coudées de son traquenard. Trop loin de ses flèches, mais assez près
de sa vue pour qu’il veuille demeurer à nous y attendre jusqu’à l’épuisement de
ses réserves. Il croit nous prendre au piège de notre impatience à atteindre
Maryab. C’est tout le contraire qui va se passer. Il se trouvera prisonnier du
ciel et de la soif avant longtemps. Il n’aura pas d’autre solution que de
redescendre jusqu’au wâdi.
Tan’Amar
était convaincant. Malgré son impatience, Makéda avait accordé ce nouveau
délai. Mais l’attente lui pesait. Elle comblait son désœuvrement en apprenant
assidûment la langue des Hébreux auprès d’Elihoreph.
L’idée lui
en était venue après le départ de Tamrin, alors que, déjà, elle attendait le
retour d’Axoum de Tan’Amar. Elihoreph, désorienté par l’absence de son fils,
errait dans le palais telle une ombre. Elle l’avait fait venir devant elle.
— Serais-tu
capable de m’apprendre ta langue ? Et
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