La reine de Saba
Le
pli de ses lèvres esquissait un sourire. Ce déchaînement du ciel lui plaisait.
On eût cru qu’Almaqah ordonnait aux cieux d’épouser cette fureur vengeresse, si
voisine d’une allégresse pleine d’élan, qui ne l’avait plus quittée depuis la
bataille marine.
Sitôt
après le départ de Tamrin, elle avait ordonné qu’on prépare les autres bateaux
pour traverser la mer Pourpre.
— Il
ne faut pas attendre. Nous allons sur l’autre rive affronter Shobwa, avait-elle
annoncé à Tan’Amar et à Himyam.
Tan’Amar
avait approuvé avec joie. Il souhaitait s’illustrer dans un combat sur terre
pour briller aux yeux de sa reine tant aimée, et plus admirée que jamais. La
victoire sur les navires des mukaribs de Kamna et Kharibat n’était pas sienne.
— Il
est plus que temps que je coupe la langue fourchue de ce serpent !
Himyam ne
fut pas de cet avis.
— Vous
courez la gazelle et la hyène en laissant votre maison sans défense !
Almaqah seul sait ce que je trouverai à Axoum à mon retour. Ton oncle n’est pas
le plus sage des gouvernants. Voilà ce que va être le royaume de ton père
Akébo : un pays gouverné par un vieillard et un gourmand.
— Ma
maison ne connaîtra jamais la paix tant que le serpent pourra glisser sa langue
fourchue entre ses murs. Je veux anéantir Shobwa avant l’année nouvelle, afin
que le printemps voie le royaume de Saba réuni en grand, de l’est à l’ouest.
Sinon, j’aurais menti au roi Salomon. Le seigneur Yahyyr’an m’attend à Maryab.
Il est plein d’impatience de tuer le taureau dans l’enceinte du temple de ma
mère Bilqîs. Dès qu’il saura que nous affrontons Shobwa, il saisira la ville.
Himyam
secoua sa vieille tête, grinça et marmonna en frappant les dalles du sol de son
bâton.
— Le
seigneur Yahyyr’an te veut dans sa couche. C’est une impatience qui peut encore
attendre. Il est juste un nouveau serpent qui préfère la voie des épousailles à
celle des batailles.
— Ne
t’inquiète pas, sage de ma reine. Je ne lui laisserai jamais pousser une langue
fourchue, grinça Tan’Amar.
Makéda
avait laissé dire. Mais Himyam avait si bien protesté, et sans doute avec un
peu de raison, qu’elle avait dû se contraindre à suivre son opinion.
Tan’Amar
avait raccompagné le vieux sage à Axoum, où il avait mis en place une forte
garnison et des officiers de confiance pour garder la cité.
Et comme
cela diminuait leurs forces pour l’affrontement à venir, Makéda s’était
adressée aux guerriers de Kamna et Kharibat faits prisonniers sur les
barcasses. Elle leur avait offert le choix : ils pouvaient demeurer de
vaillants guerriers, combattre sous le fanion d’Axoum et de Saba, gagnant
gloire et or. Ils pouvaient rester fidèles à leurs anciens maîtres. En ce cas,
ils perdraient armes et cuirasses, garderaient la vie sauve dans les geôles de
Sabas jusqu’à la fin de la guerre contre Shobwa.
Dans un
cas comme dans l’autre, ils ne devaient pas songer à la traîtrise. Le châtiment
des fourbes était désormais abondamment connu dans tout le royaume.
On en
conta moins de vingt, las des combats, que le repos des chiourmes attirait plus
que la gloire du sang. Pour les autres, ce fut un soulagement de chérir le
fanion de la reine de Saba. L’effroi de la bataille navale, le grésillement de
la mer en flammes hantaient encore leurs nuits. Dans la voix, sur le visage
tantôt si beau, tantôt si terrible, de Makéda, fille d’Akébo le Grand, il leur
semblait deviner la présence intransigeante et invincible de ces dieux qui
bâtissent le monde.
Ainsi,
après un délai d’une demi-saison, Makéda et Tan’Amar avaient débarqué sans même
un combat dans le port de Makka’h.
La
réputation guerrière de la reine de Saba faisait trembler les vieux depuis des
lunes. Chacun crut, en entendant les bateaux se déverser sur les rives et les
digues, que la ville allait brûler avant le soir. On les accueillit dans la
terreur. Volets clos, rues désertées, femmes et filles enfermées dans les
caves.
Après un
jour et une nuit, Makéda fit forcer les portes et contraignit les riches et les
puissants marchands à s’incliner devant elle sur le port. Elle portait sa tenue
de guerre ; une tunique simple et blanche aux manches brodées d’or, une
cuirasse de cuir serrée sur son buste et qui révélait sa poitrine mieux que des
tissus. Un anneau d’or brillait sur son front, ceignant l’aura de sa chevelure
et
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