La reine de Saba
manœuvres.
Quand la
première birème glissa entre les barques incendiées par les archers de Tamrin,
la vigie de proue comprit. Elle hurla à son tour, trop tard.
L’éperon
de bronze s’empêtra dans de solides cordes de chanvre, invisibles sous l’eau.
En un réseau interrompu, ces liens reliaient les barques les unes aux autres,
traçant un maillage infranchissable.
Sur sa
lancée, la birème de Maryab tendit le cordage avec un bruit sourd. Emportée par
ce formidable élan, une première épave enflammée vint se fracasser contre sa
coque et ses rames, y répandant son huile crépitante. Une deuxième épave, puis
trois autres unirent leur feu contre ses flancs. Les jarres d’huile explosèrent
avec des craquements secs. Les flammes jaillirent au travers des volets de
nage. L’huile incandescente nappa les rameurs du banc inférieur. Le feu
s’agrippa aux rames tel un démon.
À vingt ou
trente coudées sur la droite et la gauche, les autres birèmes prenaient feu
elles aussi. Elles entraînaient d’autres épaves contre elles, s’entravaient
dans les cordages et s’y immobilisaient, impuissantes.
Du port de
Sabas on contempla ce spectacle inouï des birèmes ennemies, l’une après l’autre
saisies par des mains de feu qui se refermaient sur elles, incapables de
manœuvrer et de dégager. Les explosions pareilles à des jets dorés claquaient
sans cesser. Des hurlements d’épouvante couraient sur les flots. On imaginait
les hommes pris dans le crépitement sauvage du feu qui se dispersait désormais
sur l’eau aussi bien que dans une savane.
On devina
les marins qui sautaient par-dessus bord, d’un brasier dans un autre brasier.
On vit les guerriers cuirassés gesticuler inutilement dans les tourbillons de
fumée brune. On vit les voiles devenir flammes, les mâts devenir d’immenses
torches où disparaissaient les fanions volés à Maryab.
Les
birèmes de Saba cessèrent leur nage, retenant leur mouvement avant d’entrer
dans la mer de feu où le combat était inutile. Sur l’une d’elles flottait le
pavillon de la reine Makéda.
Une trompe
y sonna. Le bateau fit demi-tour, fonça vers la pleine mer, sur l’ultime birème
ennemie encore intacte et qui escortait les barcasses des troupes.
Mais il
n’y eut pas de combat. Abasourdi par ce qu’il venait de voir, le capitaine fit
affaler les fanions des mukaribs de Kamna et Kharibat juste avant l’abordage.
Un gigantesque cri de victoire roula sur la ville, et les birèmes de Sabas
escortèrent leurs prisonniers jusqu’au port.
***
La fumée
et l’odeur du combat recouvrirent Sabas en liesse jusqu’au soir. Ce n’étaient
que vivats, danses, chants et libations.
Le
courageux Tamrin et ses habiles archers avaient été acclamés à leur retour. Les
rires se déchaînaient quand on racontait encore et encore l’astuce. Mais chacun
savait à qui on la devait.
Et quand
Makéda reprit pied sur le sol, l’acclamation fut si longue, le peuple si
pressant que Tan’Amar dut ordonner aux gardes de former une haie de lances afin
que la reine puisse atteindre le palais.
Il y eut
les prières de remerciement à Almaqah et abondance de bière. Il y eut aussi une
déception.
Makéda
avait espéré trouver Shobwa à la tête des guerriers faits prisonniers sur les
barcasses. Après une longue inspection, Tan’Amar revint en secouant la tête.
— Tous
les officiers répètent la même chose : Shobwa est malade sur la mer. Il
n’est pas monté sur les bateaux mais est resté de l’autre côté.
— Ce
n’est pas une ruse de lâche ? Il ferait tout pour se dissimuler.
Tan’Amar
hocha à nouveau la tête.
— Je
saurais le reconnaître. Je l’ai assez vu et assez haï pour que sa face de
crapaud me reste gravée dans les yeux.
— Alors
nous irons le chercher là où il se trouve, gronda Makéda. Demain ou
après-demain, il saura ce qu’il s’est passé ici. On le prendra comme un lièvre
tremblant.
Tandis que
les clameurs de joie se poursuivaient à travers la ville, le festin de victoire
commença sur la terrasse. Quand Tamrin se présenta devant elle, tout souriant
de son exploit, Makéda lui dit :
— J’ai
une récompense pour toi. Tu vas aller porter mon salut à Salomon, roi de Juda
et Israël. Tu iras avec le jeune scribe, A’hia, qui parle la langue des
Hébreux, et ce Zacharias, qui aime tant son maître. Les autres naufragés vous
accompagneront aussi. Tu lui porteras des présents qui prouvent notre
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