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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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purazur, ses cheveux rassemblés en un lourd chignon sur la nuque, elle capte tous les regards quand le consul se penche et lui baise maladroitement la main.
    — Les États-Unis d’Amérique sont très honorés de vous accueillir dans cette maison, madame Esparnac, dit-il, subjugué. 
    — C’est un plaisir de vous revoir, cher consul, répond-elle.
    Aussitôt, on se presse autour d’elle. Les grands taipans américains sont les premiers à l’entourer, Edward J. Cunningham et John D. Russel, patrons du plus gros chantier naval de la ville, les frères Dent, rejoints par les agents de la Standard Oil Company et Martin Field, représentant de l’American Tobacco, arrivé depuis un an à peine. Les Français ne sont pas loin et se mêlent à leurs hôtes pendant que le consul général, en ce jour de l’indépendance américaine, se pavane au bras de sa femme, en se voulant le successeur de La Fayette ou de Rochambeau. Les Anglais, eux, font masse à l’écart, par défi, et évitent de se mêler à leurs anciens sujets. Certaines rancunes sont tenaces malgré le pragmatisme et un intérêt commun pour les affaires. Mais le 4 juillet est une date trop symbolique pour fraterniser au-delà du raisonnable et aucun Anglais ne peut oublier que, cent vingt ans plus tôt, l’Amérique était encore anglaise et les Américains des rustres à peine civilisés. Dans la salle de bal voisine, un orchestre militaire, descendu du croiseur léger amarré sur le fleuve qui a réveillé toute la ville en tirant vingt coups de canon, enchaîne valses et polkas. Des couples dansent et virevoltent avec entrain. Olympe s’approche, suivie par quelques-uns de ses admirateurs. Elle n’imaginait pas qu’il puisse y avoir ici autant de jeunes couples. Comparée à la concession française, la Shanghai américaine regorge d’ardeur juvénile, de dynamisme, de vigueur. Edward Cunningham ne la lâche pas d’une semelle.
    —Vous êtes rayonnante, Olympe. Particulièrement en beauté. Je regrette que l’on ne vous voie pas plus souvent en ville.
    — Une femme seule n’a pas les mêmes loisirs qu’un homme, mon cher. Entre mes enfants et mon entreprise, je suis suffisamment occupée pour ne pas perdre mon temps en mondanités.
    — Qui vous parle de mondanités ? Il faut prendre un peu de bon temps, parfois, sortir, voir les amis, accepter une invitation sur l’ house-boat d’un admirateur pour passer un dimanche à la chasse aux faisans sur les canaux de l’arrière-pays.
    — Je vous vois venir, Edward, répond-elle en riant. Je tiens à ma réputation.
    — C’est en tout bien tout honneur, Olympe, même si vous ne pourrez jamais m’empêcher de voir en vous une femme plus qu’une cliente de mon arsenal, si prestigieuse soit-elle.
    Olympe sourit à ce compliment habile.
    — Comme c’est bien dit, Edward, répond-elle, mais sachez que j’ai tendance à me méfier, ici, de la notion d’honneur : elle me paraît un peu trop éloignée de nos usages. Mais vous avez raison de ne pas me considérer seulement comme une cliente.
    — Pourquoi ?
    — Je me diversifie, j’investis ailleurs que dans les bateaux et le commerce sur le fleuve. Pas plus tard que ce matin, j’ai donné le premier coup de pioche d’un nouveau chantier.
    — Vous avez décidé de vous lancer dans l’immobilier ?
    — Je construis un shikumen pour les Chinois au sud de notre concession.
    — Vous êtes folle ! s’exclame Cunningham.
    — Pas du tout. Très lucide au contraire. Écoutez, nousne sommes pas venus ici uniquement pour faire des affaires et nous enrichir sur leur dos. Nous avons aussi le devoir de les aider à se moderniser, à rattraper le temps perdu. À force de la voir comme une vache à lait, vous oubliez facilement que la Chine est une vieille civilisation.
    — Complètement décatie, oui ! Un peuple d’esclaves, de va-nu-pieds dirigés par une vieille peau, des eunuques et des fonctionnaires plus corrompus les uns que les autres. 
    — Raison de plus pour les sortir de ce Moyen Âge et leur louer des appartements dignes de ce nom.
    — Ils ne l’ont même pas atteint, votre Moyen Âge ! Ils ne pensent qu’à se reproduire et à voler leurs voisins. Ce sont des primitifs qui voient des esprits partout, se soignent avec des remèdes de sorcières, ne font rien sans consulter leur horoscope. Des sauvages, je vous dis, qui vivent dans la crasse comme des cloportes. À quinze dans une pièce. Des gens qui n’ont ni

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