La reine du Yangzi
demi-frère et sœur qui ignoraient tout de son existence.
— Désormais, vous faites partie de la famille, annonce Olympe en le prenant familièrement par le bras. Nous vous le devons après toutes ces années. Joseph m’a expliqué comment vous avez sauvé Louis de la mort lors des fusillades du Pudong et je vous en suis très reconnaissante. Je suis même prête, si vous le voulez, à vous donner notre nom.
Chang se crispe imperceptiblement.
— Je vous remercie de cet honneur, répond-il un peu sèchement, mais je veux conserver le nom de ma mère. J’en suis fier et j’aurais l’impression de la trahir en acceptant votre proposition. Elle ne l’a pas mérité.
Olympe se reproche sa faute de goût et le fait asseoir près d’elle sur un canapé pour dissiper le léger malaise. Joseph, Marie-Thérèse, Patrick et Laure prennent placeen face d’eux pendant que les domestiques apportent thé, fruits et gâteaux.
— J’ai une proposition plus importante à vous faire, Chang, reprend Olympe.
Chang a un léger mouvement de recul et jette un coup d’œil surpris à Joseph.
— J’étais venu faire votre connaissance, Olympe, dit-il sur la défensive. Je n’imaginais pas que vous alliez me demander quoi que ce soit.
— C’est moi qui vais vous demander quelque chose, Chang. Quelque chose de très important pour nous mais que j’espère vous accepterez et qui achèvera de faire de vous un membre à part entière de notre maison.
— Je vous écoute.
— Vous le savez sans doute, Louis a quitté la Compagnie du Yangzi pour vivre une vie de révolutionnaire, plus exaltante, du moins le croit-il. C’est son choix et je le respecte même si je le déplore. Du même coup, il a abandonné la présidence de notre société et de toutes nos filiales. Depuis son départ, j’assume ces fonctions mais ce n’est plus de mon âge. Il faut à la tête de notre entreprise quelqu’un de plus jeune et surtout qui soit de la famille car je n’ai nulle envie de la confier à un étranger. J’ai donc pensé à vous, Zhu Chang, parce que vous êtes vous aussi un héritier de Charles et que, d’après ce que m’a dit Joseph, vous me semblez être celui dont nous avons besoin.
Surpris, Chang se redresse et, après Olympe, les dévisage les uns après les autres.
— Il m’est difficile d’accepter, je ne connais rien aux affaires, répond-il.
— Nous vous y initierons, Joseph et moi, cela n’a rien de compliqué. Il faut seulement avoir l’esprit de décision et du caractère. Je sais que vous ne manquez ni de l’un ni de l’autre. Et puis, vous connaissez le rôle de laCompagnie dans la modernisation de la ville à travers la création de nos shikumen, nos participations dans les tramways, l’électricité, les filatures, l’exportation vers l’Europe de produits chinois et j’en passe. Vous qui participez pleinement à la modernisation de votre pays, vous auriez là l’occasion de mettre vos idées en pratique et de faire de la Compagnie du Yangzi une des premières grandes entreprises chinoises, capable de concurrencer les sociétés anglaises ou américaines. Voilà ce que je vous propose et puisque Louis a décidé de nous rendre ses parts dans la société, nous sommes prêts à vous les céder si vous acceptez mon offre.
— Je ne mérite pas cette faveur, bredouille Chang. Et je ne veux pas léser Louis.
— Il ne s’agit pas de faveur mais de vous associer pleinement à nous. Cela passe aussi par les liens de l’argent. Et Louis ne sera pas lésé puisqu’il reste l’un de mes héritiers. À moins qu’il ne renonce aussi à son héritage.
— Je ne le crois pas, intervient Laure en dépliant un papier. Voici le mot que j’ai reçu de lui il y a quelques jours.
— Pourquoi ne pas nous l’avoir dit plus tôt ? lui reproche sa mère.
— Parce que cela ne change rien. Il annonce qu’il part avec Emma, mais sans dire où, et qu’il reviendra vers nous un jour, quand il aura fini de comprendre ce qu’il veut.
— Alors, nous l’attendrons, dit Olympe avec résignation, après un moment de silence. Que décidez-vous, Chang ? Je ne veux pas vous bousculer, mais vous comprendrez facilement que je veuille rapidement savoir à quoi m’en tenir.
Impassible, Chang regarde intensément les êtres et le décor qui l’entourent, découvre qu’il s’y sent moins étranger qu’il ne le craignait, contemple ces tableaux, ces meubleschinois et français, observe ces visages, le
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