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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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n’imaginais pas qu’il était aussi lourd, dit Louis.
    — Et moi, je n’ai rien pour me défendre ? demande Laure.
    Olympe s’efforce de rire.
    — Ton frère est là pour ça, répond-elle.
    — Il ne sera pas toujours à côté de moi et j’aurais bien voulu avoir quelque chose de papa, moi aussi.
    Olympe s’aperçoit que les yeux de sa fille sont humides et qu’elle fait un effort désespéré pour ne pas éclater en sanglots. Comme eux, Laure ne s’est jamais consolée de la mort de son père. Il lui manque peut-être plus encore qu’à sa mère et à son frère. Brutalement dépossédée de celui qui était l’unique phare de son existence, une part d’elle-même est perpétuellement ailleurs et dans ses yeux sombres passe alors le voile noir d’un chagrin sans remède. Laure chérit le souvenir de ce père devenu mythique et conserve précieusement les petits mots qu’il lui écrivait,les dessins qu’il lui faisait pour lui apprendre la perspective, les premiers caractères chinois qu’il lui a enseignés en les traçant lentement au pinceau sur une feuille de papier de riz. Son bien le plus précieux est une grosse toupie en bois qu’il lui avait fabriquée pour son cinquième anniversaire.
    — Je crois que s’il avait été là, il t’aurait donné ceci, dit Olympe.
    Elle tend à sa fille le couteau à cran d’arrêt dont Charles ne se séparait jamais et qu’elle a laissé posé sur son bureau après l’avoir trouvé dans la poche de son pantalon. C’est une arme redoutable dont la lame d’acier vient se loger dans un manche d’ivoire où est sculpté un tigre en position d’attaque.
    — Prends-le, il est pour toi, insiste Olympe en voyant Laure hésiter. Sois-en digne et ne te vante jamais de le posséder. Il n’est pas très courant que les jeunes filles se promènent avec un couteau sur elle mais il faut toujours faire exception, n’est-ce pas ? Sinon, la vie ne serait vraiment pas drôle.
    — Et elle doit l’être ? questionne Laure d’une voix triste. 
    Olympe la prend dans ses bras et la berce doucement contre elle pour la consoler.
    — D’une certaine façon, oui, répond-elle. Même quand on la trouve cruelle. En fait, votre père affirmait que la vie n’est ni bonne ni méchante. Qu’elle se contente d’être là, c’est tout. Ce sont les hommes qui en font le pire ou le meilleur, qui la rendent gaie ou ennuyeuse, conformiste ou fantaisiste. À vous de l’égayer comme vous en avez envie.
    — Et toi, comment l’égaies-tu, la vie, en ce moment ? demande Louis.
    Olympe le regarde, étonnée. Elle aimerait bien le prendre lui aussi dans ses bras mais il ne le lui permettrait sansdoute pas. Depuis qu’il devient un homme, il répugne à ses caresses et c’est à peine si elle réussit à l’embrasser le soir lorsqu’il monte se coucher.
    — En travaillant, mon chéri. Et pour le moment, je n’ai pas trouvé mieux !
    En réalité, Olympe ment par omission. Elle ne veut pas lui dire que le consul général des États-Unis l’a invitée la semaine suivante à la soirée de gala du 4 juillet, jour de l’Indépendance. Après tout, cela ne le regarde pas et elle a bien le droit de sortir pour se divertir et oublier, le temps d’un soir, ses obligations de femme d’affaires. C’est la première fois qu’elle est conviée à une réception au consulat américain. Le jeune consul veut-il se faire pardonner à nouveau l’arraisonnement intempestif de sa jonque, un an plus tôt, par le captain Gates ? Veut-il plutôt faire venir dans sa résidence une des personnalités les plus en vue de Shanghai et la plus belle femme de la ville ? Ou bien encore a-t-il, lui aussi, un faible pour elle comme dirait René Mattéoli et souhaite-t-il user de son prestige pour lui faire des avances ? Rien de tout cela ne figure sur l’épais carton d’invitation où son nom est calligraphié et elle sourit de ses propres interrogations. « Allons, tu n’es plus une midinette », se dit-elle tout en se demandant quelle robe elle va porter ce soir-là.
     
    *
     
    Contrairement à la plupart des invités, Olympe arrive seule à la résidence du consul américain. Son fiacre l’a déposée à l’entrée, deux domestiques lui ouvrent le chemin jusqu’au salon d’apparat où le consul accueille ses invités. Elle avance, reine parmi les couples ordinaires, splendide et lointaine, beauté lumineuse dans sa longue robe de satin mauve. Blonde apparition aux yeux de

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