La reine du Yangzi
conservant leurs mains dans les siennes. J’en fais le serment. Et vous ?
— Nous aussi, répondent Laure et Marc d’une même voix.
C’est seulement quand ils remontent sur leurs chevaux que leurs mains se séparent, comme à regret, et que Laure les embrasse sur la joue l’un après l’autre.
9.
— Où étiez-vous ? J’étais morte d’inquiétude.
Ils ont à peine franchi le seuil du Trianon qu’Olympe laisse éclater sa colère. Depuis que le mafou de Louis lui a avoué que sa sœur et lui étaient partis pique-niquer sans lui dire où, elle ne vit plus. Elle a alerté Joseph, la police, les domestiques, les voisins, les amis pour savoir où étaient ses enfants. Et quand ils rentrent enfin, à la nuit tombée, elle est partagée entre soulagement et fureur.
— À la Pagode perdue, explique Laure. C’est à une vingtaine de kilomètres d’ici.
— Peu importe où c’est ! Je vous interdis de quitter la concession sans me prévenir ou sans informer M. et Mme Hu. Et surtout, je vous interdis de partir seuls.
— Pourquoi ? demande Louis qui fait front à sa mère. On n’a plus le droit de se promener le dimanche ?
— Eh bien, justement non ! Enfin si, mais pas tout seuls.
— On ne risque pas de se perdre, tu sais, ironise-t-il.
— Ne le prends pas sur ce ton, je te prie ! C’est très sérieux. Autant que vous le sachiez, nous avons reçu des menaces. Nous devons, vous devez être très prudents, toi et ta sœur.
— Des menaces ? Quel genre de menaces ? interroge Laure, étonnée mais curieuse.
—La Bande verte. Joseph m’a affirmé qu’il ne fallait pas plaisanter avec eux. Ce sont des bandits redoutables qui ne reculent devant rien. Rappelez-vous comment votre père est mort. C’est le même genre de crapules. Ils sont prêts à tout pour obtenir ce qu’ils veulent.
— Et que veulent-ils, ceux-là ? demande Louis.
— De l’argent. Ils nous font chanter : « Si vous ne nous donnez pas un pourcentage sur vos affaires, nous pourrions nous en prendre à vos enfants. » Joseph a fait le nécessaire auprès du consul et du commissaire de police mais cela ne suffira peut-être pas. En attendant, nous devons tous faire très attention.
— Pourquoi ne me donnes-tu pas le revolver de papa ? Avec, je saurai nous défendre.
Olympe ouvre des yeux ronds. Elle n’avait pas imaginé une seconde que son fils connaissait l’existence de cette arme et encore moins qu’il la voudrait. Après tout, pourquoi pas ? Autant la lui offrir, elle-même n’ayant aucune envie de se promener avec un revolver que de toute façon elle serait incapable d’utiliser. Louis est assez grand à présent pour recevoir ce legs. Elle se souvient que, dans son village, c’était toute une cérémonie quand les pères transmettaient le fusil de chasse du grand-père défunt à leur fils aîné, signe que ce dernier était devenu un adulte. Et Louis, elle le constate tous les jours, est devenu un homme digne de recevoir l’arme de son père.
— Tu sauras tirer ? demande-t-elle pour s’assurer une dernière fois qu’elle ne fait pas d’erreur.
— Je crois que oui, mais je m’entraînerai dans le parc sur des cibles.
— Viens avec moi, je vais te le donner.
Ils entrent dans le bureau de Charles et Olympe va directement ouvrir le tiroir de droite de l’imposant secrétaire en acajou. À l’intérieur, le Colt que Charles a acheté peuaprès leur mariage. L’arme repose dans son étui de cuir, vaguement menaçante avec sa crosse en bois, son barillet et son canon d’acier noir. Elle la prend le cœur battant. Charles aimait beaucoup ce revolver, c’est comme si c’était un peu de lui qu’elle tenait dans ses mains. L’odeur de cuir, de graisse et de métal froid lui rappelle les soirs où Charles le nettoyait avec soin. Elle aimait le regarder démonter son arme, disposer soigneusement chaque pièce sur un linge, les ressorts, le percuteur, le barillet, et les graisser, passer l’écouvillon dans le canon puis le mirer pour s’assurer qu’il était bien propre, enfin remonter le revolver avec une minutie qui l’étonnait toujours avant de remettre en place le barillet avec un claquement sec.
— Ton père affirmait qu’il était très précis, dit-elle en le tendant à Louis. Il regrettait toujours son vieux Remington que les pirates lui avaient volé mais il aimait bien celui-ci. Les cartouches sont dans la boîte.
— Je
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