La Reine étranglée
été sa première
maîtresse, dix années plus tôt. Lorsque Louis, âgé de quinze ans, avait appris
qu’on allait bientôt le marier à une princesse de Bourgogne, il avait été saisi
d’une grande frénésie de découvrir l’amour, en même temps que d’une grande
panique à l’idée de ne pas savoir comment se comporter auprès de son épouse. Et
tandis que Philippe le Bel et Marigny pesaient les avantages politiques de
cette alliance, le jeune prince ne pensait à rien d’autre qu’au mystère de
nature. La nuit, il imaginait toutes les dames de la cour succombant à ses
ardeurs ; mais le jour, il restait muet en face d’elles, mains tremblantes
et regard fuyant.
Et puis, un après-midi d’été, il
s’était rué brusquement sur cette belle fille qui, le long d’une galerie
déserte, allait devant lui d’un pas calme, les bras chargés de linge. Il
s’était lancé contre elle avec violence, avec colère, comme s’il lui en voulait
de la peur qu’il avait. C’était elle ou aucune, maintenant ou jamais… Il ne
l’avait point violée, d’ailleurs ; son agitation, son anxiété, sa
maladresse l’en eussent rendu bien incapable. Il avait exigé d’Eudeline qu’elle
lui apprît l’amour. À défaut d’une assurance d’homme, il entendait user de
prérogatives de prince. Il avait eu de la chance ; Eudeline ne s’était pas
moquée de lui, et dans une pièce de resserre, elle avait mis quelque honneur à
se rendre aux désirs de ce fils de roi, lui laissant même croire qu’elle y
trouvait de l’agrément. Par la suite, il s’était toujours senti homme devant
elle.
Certains matins, lorsqu’il était à
se vêtir pour la chasse ou pour aller s’exercer aux armes de tournoi, Louis la
faisait appeler ; et Eudeline avait vite compris que le besoin d’aimer ne
lui venait que lorsqu’il avait peur. Pendant plusieurs mois, avant l’arrivée de
Marguerite de Bourgogne, et même encore après, Eudeline avait ainsi aidé Louis
Hutin à surmonter ses terreurs.
— Votre fille, où est-elle à
présent ? demanda-t-il.
— Elle demeure chez ma mère, qui
l’élève. Je n’ai point voulu qu’elle reste ici avec moi ; elle ressemble
trop à son père, répondit Eudeline en souriant à demi.
— De celle-là, au moins, dit
Louis, je puis penser qu’elle est de moi.
— Oh ! Certes,
Monseigneur ! Elle est bien de vous !… Sire, je veux dire… Son visage
chaque jour est plus pareil au vôtre. Et cela serait vous gêner que de la
laisser voir aux gens du Palais.
Car une enfant, qui devait être
baptisée Eudeline, comme sa mère, avait été conçue de ces amours de hâte. Toute
femme un peu douée pour l’intrigue eût assuré sa fortune sur l’état de son
ventre, et fait souche de barons. Mais le Hutin tremblait si fort d’avouer la
chose au roi Philippe, qu’Eudeline, apitoyée une fois de plus, s’était tue.
Elle avait un mari qui, dans ce temps-là,
petit greffier de messire de Nogaret, trottait beaucoup derrière le légiste sur
les chemins de France et d’Italie. Trouvant, au retour, sa femme près
d’accoucher, il se mit à compter les mois sur ses doigts et commença de
s’emporter. Mais ce sont généralement des hommes de même nature qu’une même
femme attire. Le greffier ne possédait pas une âme très fortement trempée. Et
dès que sa femme lui eut confessé d’où venait le cadeau, la crainte éteignit sa
colère comme le vent souffle une bougie. Ayant choisi de prendre lui aussi le
parti du silence, il était mort peu après, moins de chagrin d’ailleurs que d’un
pernicieux mal d’entrailles rapporté des marais romains.
Et dame Eudeline avait continué de
surveiller les lessives du Palais, pour cinq sous le cent de nappes lavées.
Elle était devenue première fille lingère, ce qui dans la maison royale était
une belle position bourgeoise.
Pendant ce temps, Eudeline la petite
grandissait, non sans témoigner de cette position des enfants adultérins à
présenter d’évidence sur leurs visages les traits hérités de leur ascendance
illégitime ; et dame Eudeline espérait qu’un jour Louis se souviendrait.
Il lui avait si fort promis, si solennellement juré que du jour qu’il serait
roi il couvrirait sa fille d’or et de titres !
Elle pensait, ce soir, qu’elle avait
eu raison de le croire, et s’émerveillait qu’il eût mis tant de promptitude à
tenir ses serments. « Il n’est point mauvais de cœur, songeait-elle.
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