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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Il
est hutin de manières, mais il n’est point mauvais. »
    Émue par les souvenirs, par le
sentiment du temps enfui, par les étrangetés du destin, elle contemplait ce
souverain qui avait trouvé naguère entre ses bras le premier accomplissement
d’une virilité inquiète, et qui était là, en longue chemise, assis sur une cathèdre,
les cheveux tombant jusqu’au menton et les bras autour des genoux.
    « Pourquoi, se disait-elle,
pourquoi est-ce à moi que cela est arrivé ? »
    — Quel âge a ta fille,
aujourd’hui ? demanda Louis X. Neuf ans, n’est-ce pas ?
    — Neuf ans tout juste, Sire.
    — Je lui ferai une position de
princesse aussitôt qu’elle sera en âge d’être mariée. Je le veux. Et toi, que
désires-tu ?
    Il avait besoin d’elle. C’eût été
l’instant ou jamais d’en profiter. La discrétion ne vaut rien avec les grands
de la terre, et il faut se hâter d’exprimer un besoin, une exigence, un
souhait, fût-ce à s’en inventer, lorsqu’ils se proposent à les satisfaire. Car
ensuite ils se sentent déliés de reconnaissance simplement pour avoir offert,
et ils négligent de donner. Le Hutin aurait volontiers passé la nuit à préciser
ses largesses, pour qu’Eudeline lui tînt compagnie jusqu’à l’aube. Mais,
surprise par la question, elle se contenta de répondre :
    — Ce qu’il vous plaira, Sire.
    Aussitôt, il ramena ses pensées sur
lui-même.
    — Ah ! Eudeline, Eudeline,
s’écria-t-il, j’aurais dû t’appeler à l’hôtel de Nesle où j’ai été bien en
peine ces mois-ci.
    — Je sais, Monseigneur Louis,
que vous avez été fort mal aimé de votre épouse… Mais je n’aurais point osé
venir à vous ; j’ignorais si vous auriez eu joie ou honte à me revoir.
    Il la regardait, mais ne l’écoutait
plus. Ses yeux avaient pris une fixité trouble. Eudeline savait bien ce que
signifiait ce regard ; elle le lui connaissait déjà quand il avait quinze
ans.
    — Veuille t’étendre,
ordonna-t-il brusquement.
    — Là, Monseigneur… Je veux
dire, Sire ? murmura-t-elle avec un peu d’effroi en désignant le lit de
Philippe le Bel.
    — Oui, là, justement !
répondit le Hutin d’une voix sourde.
    Un instant elle hésita devant ce qui
lui paraissait un sacrilège. Après tout, Louis était le roi maintenant, et ce
lit était devenu le sien. Elle ôta son bonnet, laissa choir sa chape et sa
chemise ; ses nattes d’or se dénouèrent complètement. Elle était un peu
plus grasse qu’autrefois, mais elle avait toujours sa belle courbe de reins, ce
dos ample et tranquille, cette hanche au toucher de soie où jouait la lumière…
Ses gestes semblaient dociles, et c’était de docilité précisément que le Hutin
était avide. De même qu’on bassinait le lit pour en chasser le froid, ce beau
corps allait en chasser les démons.
    Un peu inquiète, un peu éblouie,
Eudeline se glissa sous la couverture d’or.
    — J’avais raison, dit-elle
aussitôt, ils grattent, ces draps neufs ! Je le savais bien.
    Louis s’était fébrilement dépouillé
de sa chemise ; maigre, les épaules osseuses, et lourd par maladresse, il
se jeta sur elle avec une précipitation désespérée comme si l’urgence ne
pouvait tolérer le moindre atermoiement.
    Hâte vaine. Les rois ne commandent
point à tout et sont, en certaines choses, exposés à mêmes mécomptes que les
autres hommes. Les désirs du Hutin étaient surtout de tête. Accroché aux
épaules d’Eudeline ainsi qu’un noyé à une bouée, il s’évertuait, par simulacre,
à surmonter une défaillance qui donnait peu d’espoir. « Certes, s’il
n’honorait pas autrement Madame Marguerite, se disait Eudeline, on comprend
mieux qu’elle l’ait trompé. »
    Tous les encouragements silencieux
qu’elle lui prodigua, tous les efforts qu’il fît et qui n’étaient point d’un
prince allant à la victoire, demeurèrent sans succès. Il s’écarta d’elle,
défait, honteux ; il tremblait, au bord de la rage ou des sanglots.
    Elle essaya de le calmer :
    — Vous avez tant cheminé
aujourd’hui ! Vous avez eu si froid, et vous devez avoir le cœur si
triste ! C’est bien naturel le soir qu’on a enterré son père, et cela peut
arriver à tout un chacun, vous savez.
    Le Hutin contemplait cette belle
femme blonde, offerte et inaccessible, étendue là comme pour incarner quelque
châtiment infernal, et qui le regardait avec compassion.
    — C’est la faute de cette

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