La Reine étranglée
gueuse,
de cette catin… dit-il.
Eudeline recula, croyant que
l’injure s’adressait à elle.
— Je voulais qu’on la mît à
mort après son forfait, continua-t-il les dents serrées. Mon père a
refusé ; mon père ne m’a point vengé. Et maintenant, c’est moi qui suis comme
mort… dans ce lit où je sens mon malheur, où je ne pourrai jamais dormir !
— Mais si, Monseigneur Louis,
dit Eudeline doucement en l’attirant contre elle. Mais si c’est un bon
lit ; mais c’est un lit de roi. Et pour chasser ce qui vous empêche, c’est
une reine qu’il vous faut mettre dedans.
Elle était émue, modeste, sans
reproches, ni dépit.
— Crois-tu vraiment,
Eudeline ?
— Mais oui, Monseigneur Louis,
je vous assure : dans un lit de roi, c’est une reine qu’il faut,
répéta-t-elle.
— Peut-être en aurai-je une
bientôt. Il paraît qu’elle est blonde, comme toi.
— C’est grand compliment que
vous me faites là, répondit Eudeline.
— On dit qu’elle est très
belle, continua le Hutin, et de grande vertu ; elle vit à Naples…
— Mais oui, Monseigneur Louis,
mais oui, je suis sûre qu’elle vous rendra heureux. Maintenant il vous faut
reposer.
Maternelle, elle lui offrait l’appui
d’une épaule tiède qui sentait la lavande, et elle l’écoutait rêver tout haut à
cette femme inconnue, à cette princesse lointaine dont elle tenait, cette nuit,
si vainement la place. Il se consolait, dans les mirages de l’avenir, de ses
infortunes passées et de ses défaites présentes.
— Mais oui, Monseigneur Louis,
c’est tout juste une épouse comme cela qu’il vous faut. Vous verrez comme vous
vous sentirez bien fort auprès d’elle…
Il se tut enfin. Et Eudeline demeura
sans oser bouger, les yeux grands ouverts sur les trois chaînes de la
veilleuse, attendant l’aube pour se retirer.
Le roi de France dormait.
DEUXIÈME PARTIE
LES LOUPS SE MANGENT ENTRE EUX
I
LOUIS HUTIN TIENT SON PREMIER CONSEIL
Pendant seize ans, Marigny avait
siégé au Conseil étroit, dont sept à la droite du roi. Pendant seize ans, il y
avait servi le même prince, et pour faire prévaloir la même politique. Pendant
seize ans il avait été certain d’y retrouver des amis fidèles et des
subordonnés diligents. Il sut bien, ce matin-là, dès qu’il eut passé le seuil
de la chambre du Conseil, que tout était changé.
Autour de la longue table, les
conseillers se tenaient en même nombre à peu près que de coutume et la cheminée
répandait dans la pièce la même odeur de chêne brûlé. Mais les places étaient
différemment distribuées, ou occupées par des personnages nouveaux.
Auprès des membres de droit ou de
tradition, tels les princes du sang ou le connétable Gaucher de Châtillon,
Marigny n’apercevait ni Raoul de Presles, ni Nicole le Loquetier, ni Guillaume
Dubois, légistes éminents, serviteurs fidèles de Philippe le Bel. Ils avaient
été remplacés par des hommes tels qu’Étienne de Mornay, chancelier du comte de
Valois, ou Béraud de Mercour, grand seigneur turbulent et l’un des plus
violemment hostiles, depuis des années, à l’administration royale.
Quant à Charles de Valois lui-même,
il s’était attribué le siège habituel de Marigny.
Des vieux serviteurs du Roi de fer,
seul demeurait, en dehors du connétable, l’ex-chambellan Hugues de Bouville,
sans doute parce qu’il appartenait à la haute noblesse. Les conseillers issus
de la bourgeoisie avaient été écartés.
Marigny saisit d’un seul regard toutes
les intentions d’offense et de défi dont témoignaient à son égard la
composition et la disposition d’un tel Conseil. Il resta un moment immobile, la
main gauche au collet de sa robe, sous son large menton, le coude droit serré
sur son sac à documents, comme s’il pensait : « Allons ! Il va
falloir nous battre ! » Et rassemblait ses forces.
Puis, s’adressant à Hugues de
Bouville, mais de façon à être entendu de tous, il demanda :
— Messire de Presles est-il
malade ? Messires de Bourdenai, de Briançon et Dubois ont-ils été
empêchés, que je ne vois aucun d’eux ? Ont-ils fait tenir excuse de leur
absence ?
Le gros Bouville eut un instant
d’hésitation et répondit, baissant les yeux :
— Je n’ai pas eu charge de
réunir le Conseil. C’est messire de Mornay qui y a pourvu.
Se renversant un peu sur le siège
qu’il venait de s’approprier, Valois dit alors, avec une insolence à
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