Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
peine
voilée :
    — Vous n’avez pas oublié,
messire de Marigny, que le roi appelle au Conseil qui il veut, comme il veut,
et quand il veut. C’est droit de souverain.
    Marigny fut au bord de répondre que
si c’était, en effet, le droit du roi de convier à son Conseil qui lui
plaisait, c’était aussi son devoir de choisir des hommes qui s’entendissent aux
affaires, et que les compétences ne se formaient pas du soir au matin.
    Mais il préféra réserver ses
arguments pour un meilleur débat et s’installa, apparemment calme, en face de
Valois, sur la chaise laissée vide à gauche du fauteuil royal.
    Il ouvrit son sac à documents, en
sortit parchemins et tablettes qu’il rangea devant lui. Ses mains
contrastaient, par leur finesse nerveuse, avec la lourdeur de sa personne. Il
chercha machinalement, sous le plateau de la table, le crochet auquel
d’ordinaire il pendait son sac, ne le trouva pas, et réprima un mouvement
d’irritation.
    Valois conversait, d’un air de
mystère, avec son neveu Charles de France. Philippe de Poitiers lisait,
l’approchant de ses yeux myopes, une pièce que lui avait tendue le connétable
et qui concernait un de ses vassaux. Louis d’Évreux se taisait. Tous étaient
habillés de noir. Mais Monseigneur de Valois, en dépit du deuil de cour, était
aussi superbement vêtu que jamais ; sa robe de velours s’ornait de
broderies d’argent et de queues d’hermine qui le paraient comme un cheval de
corbillard. Il n’avait devant lui ni parchemin ni tablette, et laissait à son
chancelier le soin subalterne de lire et d’écrire ; lui se contentait de
parler.
    La porte qui donnait accès aux
appartements s’ouvrit, et Mathieu de Trye parut, annonçant :
    — Messires, le roi.
    Valois se leva le premier et
s’inclina avec une déférence si marquée qu’elle en devenait majestueusement
protectrice. Le Hutin dit :
    — Excusez, messires, mon
retard…
    Il s’interrompit aussitôt, mécontent
de cette sotte déclaration. Il avait oublié qu’il était le roi, et qu’il lui
appartenait d’entrer le dernier au Conseil. Il fut à nouveau saisi d’un malaise
anxieux, comme la veille à Saint-Denis, et comme la nuit précédente dans le lit
paternel.
    L’heure était venue, vraiment, de se
montrer roi. Mais la vertu royale n’est pas une disposition qui se manifeste
par miracle. Louis, les bras ballants, les yeux rouges, ne bougeait pas ;
il négligeait de s’asseoir et de faire asseoir le Conseil.
    Les secondes passaient ; le
silence devenait pénible.
    Mathieu de Trye eut le geste qu’il
fallait ; il tira ostensiblement le fauteuil royal. Louis s’assit et
murmura :
    — Siégez, messires.
    Il revit en pensée son père à cette
même place et prit machinalement sa pose, les deux mains à plat sur les
accoudoirs du fauteuil. Cela lui rendit un peu d’assurance. Se tournant alors
vers le comte de Poitiers, il dit :
    — Mon frère, ma première
décision vous regarde. J’entends, lorsque le deuil de cour aura pris fin, vous
conférer la pairie pour votre comté de Poitiers, afin que vous soyez au nombre
des pairs et m’aidiez à soutenir le poids de la couronne.
    Puis, s’adressant à son second
frère :
    — À vous, Charles, j’ai vouloir
de donner en fief et apanage le comté de la Marche, avec les droits et les
revenus qui s’y attachent.
    Les deux princes se levèrent et
vinrent, de part et d’autre du siège royal, baiser chacun l’une des mains de
leur aîné, en signe de merci. Les mesures qui les touchaient n’étaient ni
exceptionnelles ni inattendues. L’attribution de la pairie au premier frère du
roi constituait une sorte d’usage ; et d’autre part, il était su depuis
longtemps que le comté de la Marche, racheté par Philippe le Bel aux Lusignan,
irait au jeune Charles [4] .
    Monseigneur de Valois ne s’en
rengorgea pas moins, comme si l’initiative lui en revenait ; et il eut à
l’adresse des deux princes un petit geste qui voulait exprimer :
« Vous voyez, j’ai bien travaillé pour vous. »
    Mais Louis X, pour sa part,
n’était pas aussi satisfait, car il avait omis de commencer par rendre hommage
à la mémoire de son père et de parler de la continuité du pouvoir. Les deux
belles phrases qu’il avait préparées lui étaient sorties de l’esprit ; à
présent il ne savait plus comment enchaîner.
    Un silence s’établit à nouveau,
gênant et pesant. Quelqu’un manquait trop évidemment à cette

Weitere Kostenlose Bücher