La Reine étranglée
surtout votre fille.
— Nous vous avons moult grâces
de votre pensée, répondit Jean de Cressay, mais vous ne trouverez rien, fors
l’herbe au long des chemins.
— Allons donc ! s’écria
Guccio en frappant sur sa bourse. Je ne serais point Lombard si je n’y réussissais.
— L’or même n’est plus
d’utilité.
— C’est bien ce que nous
verrons.
Il était dit que Guccio, à chacun de
ses passages dans cette famille, y jouerait le chevalier sauveur et non le
créancier. Il ne songeait même plus à la dette de trois cents livres jamais
acquittée depuis la mort du sire de Cressay.
Il piqua vers Neauphle, persuadé que
les commis du comptoir Tolomei le tireraient d’affaire. « Tels que je les
connais, ils ont dû prudemment engranger, ou bien ils savent où se fournir
lorsqu’on a les moyens de payer ».
Mais il surprit les trois commis
serrés autour d’un feu de tourbe ; ils avaient la mine cireuse et le nez
tristement pointé vers le sol.
— Depuis deux semaines, tout
trafic est arrêté, signor Guccio, lui déclara le chef de comptoir. On ne fait
même point une opération par jour. Les créances ne rentrent pas, et il
n’avancerait à rien d’ordonner saisie ; on ne prend pas le néant… Des
provisions de bouche ?
Il haussa les épaules.
— Nous allons faire festin tout
à l’heure d’une livre de châtaignes, poursuivit-il, et nous en lécher les
lèvres pendant trois jours. Vous avez encore du sel à Paris ? C’est le
manque de sel surtout qui fait dépérir. Si vous pouviez seulement nous en faire
parvenir un boisseau ! Le prévôt de Montfort en a, mais il ne veut point
le distribuer. Ah ! Celui-là n’est privé de rien, soyez-en certain ;
il a rançonné tout l’alentour comme pays en guerre.
— Mais c’est une vraie peste,
en vérité, que ce Portefruit ! s’écria Guccio. Je m’en vais lui parler,
moi. Je l’ai déjà maté une fois, ce voleur.
— Signor Guccio… dit le chef du
comptoir voulant, engager le jeune homme à la prudence.
Mais Guccio était déjà dehors et
remontait à cheval. Un sentiment de haine comme il n’en avait jamais connu lui
écartelait la poitrine. Parce que Marie de Cressay était en train de mourir de
faim, il passait du côté des pauvres et des souffrants ; et à cela seul il
eût pu s’apercevoir que son amour était vrai.
Lui, le Lombard, l’enfant de
l’argent, il prenait brusquement parti pour le clan de la misère. Il remarquait
à présent que les murs des maisons semblaient suer la mort. Il se sentait
solidaire de ces familles chancelantes qui suivaient des cercueils, de ces
hommes à la peau collée sur les pommettes et dont les regards étaient devenus
des regards de bêtes.
Il allait planter sa dague dans le
ventre du prévôt Portefruit ; il y était décidé. Il allait venger Marie,
venger toute la province et accomplir un geste de justicier. Il serait arrêté,
bien sûr ; il voulait l’être, et l’affaire irait loin. Son oncle Tolomei
remuerait ciel et terre ; messire de Bouville et Monseigneur de Valois
seraient avertis. Le procès viendrait devant le Parlement de Paris, et même
devant le roi. Et alors Guccio s’écrierait : « Sire, voilà pourquoi
j’ai tué votre prévôt…»
Une lieue et demie de galop lui
calma un peu l’imagination. « Rappelle-toi, mon garçon, qu’un cadavre ne
paie pas d’intérêts », avait-il entendu répéter par ses oncles banquiers,
depuis sa petite enfance. Au bout du compte, chacun ne se bat bien qu’avec les armes
qui lui sont propres ; Guccio, ainsi que tout Toscan aisé, savait assez
convenablement manier les lames courtes, mais ce n’était pas là sa spécialité.
Il ralentit donc à l’entrée de
Montfort-l’Amaury, mit son cheval et son esprit au calme, et se présenta à la
prévôté. Comme le sergent de garde ne lui montrait pas tout l’empressement
souhaité, Guccio sortit de dessous son manteau le sauf-conduit, scellé du sceau
royal, que Valois lui avait fait établir pour les besoins de sa mission à
Naples.
Les termes en étaient assez larges…
« Je requiers tous baillis, sénéchaux et prévôts de porter aide et
assistance… » pour que Guccio pût l’utiliser encore.
— Service du roi ! dit-il.
À la vue du sceau royal, le sergent
de la prévôté devint aussitôt courtois et zélé, et courut ouvrir les portes.
— Tu feras manger mon cheval,
lui ordonna Guccio.
Les gens sur lesquels nous avons
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