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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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une fois l’avantage se tiennent généralement pour battus d’avance dès qu’ils se
retrouvent en notre présence. Veulent-ils regimber, cela ne change rien ;
les eaux coulent toujours dans le même sens. Ainsi en était-il entre Portefruit
et Guccio.
    Les sourcils ronds, les joues
rondes, la panse ronde, le prévôt, vaguement inquiet, roula plutôt qu’il ne
marcha au-devant de son visiteur.
    La lecture du sauf-conduit ne fit
que le troubler davantage. Quelles pouvaient bien être les fonctions secrètes
de ce jeune Lombard ? Venait-il enquêter, inspecter ? Le roi Philippe
le Bel avait ainsi de ces agents mystérieux qui sous le couvert d’un autre
métier parcouraient le royaume, faisaient leurs rapports ; et puis
soudain, une grille de prison s’ouvrait…
    — Ah ! Messire Portefruit,
avant toute chose je veux vous apprendre, dit Guccio, que je n’ai point parlé
en haut lieu de cette affaire de tailles de mutation, pour les sires de
Cressay, qui nous donna occasion de nous rencontrer l’autre année. J’ai bien
admis qu’il s’agissait d’une erreur. Ceci pour vous tranquilliser.
    Belle manière, en effet, de rassurer
le prévôt ! C’était lui dire en clair, dès l’abord : « Je vous
rappelle que je vous ai pris en flagrant délit de prévarication, et que je puis
le faire savoir quand je voudrai. »
    La face lunaire du prévôt pâlit un
peu, ce qui accentua, par opposition, la couleur vineuse de la tache de
naissance qui lui couvrait la tempe et une partie du front.
    — Je vous sais gré, messire
Baglioni, de votre jugement, répondit-il. En effet, c’était une erreur.
D’ailleurs j’ai fait gratter les livres.
    — Ils avaient donc besoin
d’être grattés ? remarqua Guccio.
    L’autre comprit qu’il venait de
prononcer une sottise dangereuse. Décidément ce jeune Lombard avait le don de
lui brouiller la tête.
    — J’allais justement me mettre
à dîner, dit-il pour changer au plus vite de sujet. Me ferez-vous l’honneur de
partager…
    Il commençait de se montrer
obséquieux. L’habileté commandait à Guccio d’accepter ; les gens ne se
livrent jamais mieux qu’à table. Et puis Guccio depuis le matin avait beaucoup
couru sans rien manger. Si bien qu’étant parti de Neauphle pour tuer le prévôt,
il se retrouva confortablement assis en face de lui, et ne se servant de sa
dague que pour trancher dans un cochon de lait, rôti à point, et qui baignait
dans une belle graisse dorée.
    La chère que faisait le prévôt au
milieu d’un pays en famine était proprement scandaleuse. « Quand je pense,
se disait Guccio, que je suis venu quérir de quoi nourrir Marie, et que c’est
moi qui suis à goinfrer ! » Chaque bouchée accroissait sa
haine ; et comme le prévôt, croyant se concilier son visiteur, présentait
ses meilleures provisions et ses vins les plus rares, Guccio, à chaque rasade
qu’on le forçait d’accepter, se répétait : « Il rendra compte de tout
cela, ce malfaiteur. J’agirai si bien que je l’enverrai se balancer au bout
d’une corde. » Jamais repas ne fut dévoré avec plus d’appétit de la part
de l’invité, et si peu de bénéfice pour celui qui l’offrait. Guccio ne manquait
pas une occasion de mettre son hôte mal à l’aise.
    — J’ai appris que vous aviez
acquis des faucons, messire Portefruit ? demanda-t-il soudain. Avez-vous
donc le droit de chasser comme les seigneurs ?
    L’autre s’étrangla dans son gobelet.
    — Je chasse avec les seigneurs
d’alentour, lorsqu’ils veulent bien m’y convier, répondit-il vivement.
    Il chercha une nouvelle fois à
dévier le cours de la conversation, et ajouta :
    — Vous voyagez beaucoup, il me
semble, messire Baglioni ?
    — Beaucoup, en effet, répondit
Guccio avec détachement. Je reviens d’Italie, où j’avais affaire pour le compte
du roi auprès de la reine de Naples.
    Portefruit se rappela que, lors de
leur première rencontre, c’était d’une mission auprès de la reine d’Angleterre
que Guccio revenait. Ce jeune homme devait être bien puissant qui paraissait
surtout employé à courir vers les reines. En outre, il savait toujours les
choses qu’on eût préféré taire…
    — Maître Portefruit, les commis
du comptoir que mon oncle possède à Neauphle sont réduits à bien grande misère.
Je les ai trouvés malades de faim, et ils m’assurent qu’ils ne peuvent rien
acheter, déclara soudain Guccio. Comment expliquez-vous que sur

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