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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Paris…
    — Je vous remercie, prévôt, je
m’en souviendrai. Mais sans doute ne tarderez-vous pas à me revoir. Et, de
toute façon, soyez sûr que je parlerai de vous comme il faut.
    Là-dessus Guccio repartit pour
Neauphle, où il remit aux trois commis, éblouis et salivants, la moitié de son
butin.
    — Il en sera ainsi chaque
semaine, leur dit-il. C’est chose convenue avec le prévôt. De ce qu’il vous
fournira, vous ferez deux parts, l’une pour vous, l’autre qu’on viendra prendre
de Cressay, ou que vous y porterez, bien prudemment. Mon oncle s’intéresse fort
à cette famille qui est mieux en cour qu’elle n’en donne l’aspect ; qu’on
veille donc à la ravitailler.
    — Paieront-ils ces vivres en
espèces, ou bien faudra-t-il en augmenter leur créance ? demanda le chef
du comptoir.
    — Vous tiendrez un compte à
part que je surveillerai.
    Dix minutes plus tard Guccio
arrivait au manoir et posait au chevet de Marie de Cressay miel, fruits sèches
et confiseries.
    — J’ai remis en bas, à votre
mère, du porc salé, des farines, du sel…
    Les yeux de la malade s’emplirent de
larmes.
    — Comment avez-vous
réussi ?… Messire Guccio, vous êtes donc magicien ? Du miel…
oh ! Du miel…
    — Je ferais bien plus pour vous
voir reprendre forces, et pour la joie d’être aimé de vous. Chaque huit jours
vous en recevrez autant par mes commis… Croyez-moi, ajouta-t-il en souriant,
c’est ouvrage moins difficile que de débusquer un cardinal en Avignon.
    Cela lui rappela qu’il n’était point
venu à Cressay uniquement pour y nourrir les affamés ; et, profitant de ce
qu’ils étaient seuls, il demanda à Marie si le dépôt qu’il lui avait confié
l’automne passé se trouvait toujours à la même place, dans la chapelle.
    — Je n’y ai point touché,
répondit-elle. J’avais grande inquiétude de mourir sans savoir ce que je devais
en faire.
    — N’en soyez plus en peine, je
vais le reprendre. Et de grâce, si vous m’aimez, ne songez plus à mourir !
    — Plus maintenant, dit-elle en
souriant à son tour.
    Il la laissa puisant dans le pot de
miel, à petites cuillerées, et d’un air d’extase.
    « Tout l’or du monde, tout l’or
du monde pour lui voir ce visage heureux ! Elle vivra, j’en suis sûr. Elle
est malade de faim, certes, mais surtout elle était malade de moi »,
pensait-il avec la belle fatuité de la jeunesse.
    Descendu dans la grand-salle il prit
dame Eliabel à part pour lui dire qu’il avait rapporté d’Italie d’excellentes
reliques, fort efficaces, et qu’il souhaitait prier dessus, seul dans la
chapelle, afin d’obtenir la guérison de Marie. La veuve s’émerveilla de ce
qu’un jeune homme si dévoué, si allant, si habile, fût en même temps si pieux.
    Guccio, ayant reçu la clef, gagna la
chapelle où il s’enferma ; il n’eut pas de peine à retrouver la dalle,
près de l’autel, la souleva, et, d’entre les ossements effrités d’un lointain
sire de Cressay, retira l’étui de plomb qui contenait, outre le double des
comptes du roi d’Angleterre et de Monseigneur d’Artois, la pièce attestant les
malversations de l’archevêque Jean de Marigny. « Voilà une bonne relique
pour guérir le royaume », se dit-il.
    Il replaça la dalle, la recouvrit
d’un peu de poussière, et sortit, prenant une mine dévote.
    Bientôt après, ayant reçu
remerciements, embrassades et bénédictions de la châtelaine et de ses fils, il
se remit en route.
    Il n’avait pas franchi la Mauldre
que les Cressay déjà se précipitaient à la cuisine.
    — Attendez, mes fils, attendez
au moins que je vous apprête un repas ! dit dame Eliabel.
    Mais elle ne put empêcher les deux
frères de tailler de larges rondelles dans une saucisse séchée.
    — Ne pensez-vous pas que Guccio
est épris de Marie, pour tant se soucier de nous ? dit Pierre de Cressay.
Il ne nous réclame pas nos dettes, ni même les intérêts, et au contraire nous
couvre de présents.
    — Mais non, répondit vivement
dame Eliabel. Il nous aime tous bien, voilà tout, et il est honoré de notre
amitié.
    — Ce ne serait point un si
mauvais parti, dit encore Pierre.
    Jean, l’aîné, grogna dans sa barbe.
Pour lui, qui était en position de chef de famille, la perspective d’accorder
sa sœur à un Lombard heurtait toutes les traditions de noblesse.
    — Si telles étaient ses
intentions, jamais je n’accepterais…
    Mais comme il avait la

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