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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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aux
perspectives redressées.
    — De quoi souffrez-vous,
Marie ? dit Guccio.
    — De faiblesse, mon bien-aimé,
de faiblesse. Et puis de la grande crainte que vous m’ayez abandonnée.
    — J’ai dû aller en Italie pour
le service du roi, et partir si hâtivement que je n’ai pu vous en avertir.
    — Pour le service du roi…
répéta-t-elle faiblement.
    La grande interrogation muette était
toujours au fond de son regard. Et Guccio se sentit brusquement honteux de sa
bonne santé, de ses vêtements fourrés, des semaines insouciantes passées en
voyage, honteux même du soleil de Naples, honteux surtout de la vanité qui
l’emplissait jusqu’à l’heure précédente pour avoir vécu parmi les puissants de
ce monde.
    Marie avança sa belle main
amaigrie ; et Guccio prit cette main ; et leurs doigts refirent
connaissance, s’interrogèrent et finirent par s’unir, entrecroisés dans ce
geste où l’amour se promet plus sûrement que par un baiser, comme si les mains
de deux êtres se liaient pour une même prière.
    La question muette disparut alors du
regard de Marie. Elle ferma les paupières et ils restèrent ainsi un moment sans
parler.
    — Il me semble, à tenir vos
doigts, que j’y puise force, dit-elle enfin.
    — Marie, voyez ce que je vous
ai rapporté !
    Il tira de son aumônière deux
plaques d’or fines et gravées, incrustées de perles et de pierres cabochons,
comme il était de mode alors dans les classes riches d’en coudre aux cols des
manteaux. Marie prit les plaques et les éleva jusqu’à ses lèvres. Guccio eut un
serrement de cœur, car, un bijou, fût-il ciselé par le plus habile orfèvre de
Florence ou de Venise, n’apaise point la faim. « Un pot de miel ou de
fruits confits eût été aujourd’hui un meilleur présent », pensa-t-il. Et
une grande hâte d’agir le saisit.
    — Je vais aller chercher de
quoi vous guérir, s’écria-t-il.
    — Que vous soyez là, que vous
pensiez à moi, je ne demande rien d’autre… Partez-vous déjà ?
    — Je serai de retour dans peu
d’heures.
    Il allait franchir la porte.
    — Votre mère… sait-elle ?
dit-il à mi-voix.
    Marie fit des paupières un signe
négatif.
    — Je n’ai point voulu disposer
de vous, répondit-elle. C’est à vous de disposer de moi, si Dieu veut que je
vive.
    En redescendant dans la grand-salle,
Guccio trouva dame Eliabel en compagnie de ses deux fils qui venaient de
rentrer. Le visage creux, les yeux brillants de fatigue, les vêtements déchirés
et mal rapiécés, Pierre et Jean de Cressay portaient eux aussi les marques de
la détresse. Ils témoignèrent à Guccio la joie qu’ils avaient de revoir un ami.
Mais ils ne pouvaient se défendre d’un peu d’envie et d’amertume à contempler
l’aspect prospère du jeune Lombard. « La banque, décidément, se défend
mieux que la noblesse », pensait Jean de Cressay.
    — Notre mère vous a raconté et
puis vous avez vu Marie… dit Pierre. Admirez notre chasse de ce matin. Un
corbeau qui s’était rompu la patte, et un mulot. L’honnête bouillon pour toute
une famille que l’on va faire avec cela ! Que voulez-vous ? Tout est
piégé. On a beau promettre le bâton aux paysans s’ils chassent pour eux-mêmes,
ils préfèrent recevoir le bâton et manger le gibier. À leur place on en ferait
autant. Il ne nous reste que trois chiens…
    — Les faucons milanais que je
vous ai donnés l’automne passé vous font-ils bon service, au moins ?
demanda Guccio.
    Les deux frères baissèrent les yeux
d’un air gêné. Puis Jean, l’aîné, se décida à dire en tirant sur sa
barbe :
    — Nous avons dû les céder au
prévôt Portefruit, pour qu’il consentît à nous laisser notre dernier porc.
D’ailleurs, nous n’avions plus de quoi les acharner.
    — Vous avez eu grandement
raison, répondit Guccio ; à l’occasion, je vous en procurerai d’autres.
    — Ce blaireau de prévôt,
s’écria Pierre de Cressay, ne s’est point fait meilleur, je vous jure, depuis
la fois que vous nous avez tirés de ses griffes. Il est à lui seul pire que la
disette, et il en double le mal.
    — J’ai vergogne, messire
Guccio, de la petite chère que je vais vous offrir à partager, dit la veuve.
    Guccio mit à son refus beaucoup de
délicatesse, alléguant qu’il était attendu à son comptoir de Neauphle.
    — Je vais faire en sorte aussi
de vous découvrir quelques victuailles, ajouta-t-il. Vous ne pouvez continuer
ainsi, et

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