Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
un pays si ravagé
par la disette, vous imposiez des dîmes en nature, et passiez prendre et saisir
tout ce qu’il y reste à mâcher ?
    — Eh ! Messire Baglioni,
c’est une grave question pour moi, et une grande affliction, je vous le jure.
Mais je dois obéir aux ordres de Paris. Je suis tenu d’envoyer chaque semaine
trois charrettes de vivres, comme tous les autres prévôts de par ici, parce que
Monseigneur de Marigny craint l’émeute et veut tenir sa capitale en main. Comme
toujours, c’est la campagne qui souffre.
    — Et quand vos sergents
ramassent de quoi emplir trois charrettes, ils peuvent aussi bien en remplir
quatre et vous en garder une.
    L’angoisse afflua au cœur du prévôt.
Ah ! Le pénible dîner !
    — Jamais, messire Baglioni,
jamais ! Qu’allez-vous penser ?
    — Allons, allons, prévôt !
D’où vient tout ceci ? s’écria Guccio en désignant la table. Les jambons,
que je sache, ne viennent pas tout seuls se pendre à votre heurtoir. Et vos
sergents ne sont pas prospères comme on les voit, à seulement lécher la fleur
de lis de leur bâton ?
    « Si j’avais su, pensa
Portefruit, je l’aurais moins bien traité. »
    — C’est que, voyez-vous,
répondit-il, si l’on veut maintenir l’ordre dans le royaume, il faut nourrir
honnêtement ceux qui ont charge d’y veiller.
    — Assurément, dit Guccio,
assurément. Vous parlez comme il faut. Un homme nanti d’un si haut office que
le vôtre ne doit point raisonner comme les gens du commun, ni ne saurait agir
de leur façon.
    Il devenait soudain approbateur,
amical, et paraissait se rendre entièrement aux vues de son interlocuteur. Le
prévôt, qui avait bu à suffisance pour reprendre courage, donna dans le
panneau.
    — Ainsi pour les tailles
d’impôts… reprit Guccio.
    — Les tailles ? dit le
prévôt.
    — Eh bien, oui ! Vous les
avez en fermage. Or il faut que vous viviez, que vous payiez vos commis… Alors
forcément vous devez prélever plus que ce qui vous est requis par le Trésor.
Comment vous y prenez-vous ? Vous doublez la taille, n’est-ce pas ?
C’est ce que font à ma connaissance tous les prévôts.
    — À peu près, dit Portefruit se
laissant aller parce qu’il pensait avoir affaire à quelqu’un d’averti. Nous y
sommes bien obligés. Déjà, pour avoir ma charge, j’ai dû fourrer la paume à
l’un des commis de Marigny.
    — Un commis de Marigny,
vraiment ?
    — Eh oui… et je continue de lui
glisser une coquette bourse à chaque Saint-Nicolas. Il me faut partager aussi
avec mon receveur, sans parler de ce que me regratte le bailli qui est
au-dessus de moi. Au bout du compte…
    — … il ne vous reste pas
tellement pour vous-même, j’entends bien… Alors, prévôt, vous allez me porter
aide, et moi je vais vous proposer un marché où vous ne perdrez point. Je suis
en peine pour nourrir mes commis de Neauphle. Chaque semaine vous leur
délivrerez en sel, farine, fèves, miel, et viande fraîche ou séchée, ce qui leur
est de besoin et qu’ils vous paieront au meilleur prix de Paris, avec encore un
petit surcroît de trois sols à la livre. Je me dispose même à vous laisser
vingt livres d’avance, dit-il en faisant sonner sa bougette.
    Le tintement de l’or acheva
d’endormir la défiance du prévôt. Il discuta un peu, pour la forme, les poids
et les prix. Il s’étonnait des quantités demandées par Guccio.
    — Vos commis ne sont que trois.
Leur faut-il vraiment tant de miel et de pruneaux ? Oh ! Je peux, je
peux fournir…
    Comme Guccio souhaitait emporter
sur-le-champ quelques provisions, le prévôt le conduisit dans sa réserve qui
ressemblait fort à un entrepôt.
    Maintenant que le marché était
conclu, à quoi bon dissimuler ? Et d’une certaine manière, le prévôt
éprouvait de la satisfaction à montrer, impunément croyait-il, ses trésors
alimentaires. Le nez en l’air, les bras courts, il s’agitait parmi les sacs de
lentilles et de pois secs, humait les fromages, caressait de l’œil les
chapelets de saucisses.
    Bien qu’il eût passé deux heures à
table, il semblait que l’appétit lui fût déjà revenu.
    « Le gaillard mériterait qu’on
le vienne piller à coups de fourches », pensait Guccio. Un valet prépara
un fort paquet de victuailles qu’on dissimula dans une toile, et que Guccio fit
accrocher à sa selle.
    — Et si d’aventure, dit le
prévôt en raccompagnant son hôte, vous manquiez vous-même, à

Weitere Kostenlose Bücher