La Reine étranglée
indéniable que, depuis la
mort de Philippe le Bel, l’autorité centrale s’affaiblissait. En réalité, deux
pouvoirs s’opposaient, s’empêtraient, s’annulaient l’un l’autre. On obéissait
ou bien à Marigny, ou bien à Valois. Tiraillé entre les deux partis, mal
renseigné, ne sachant distinguer la calomnie de l’information véritable, et
incapable par nature de trancher franchement, Louis X accordait sa
confiance tantôt à gauche, tantôt à droite, et croyait gouverner alors qu’il ne
faisait que subir.
Cédant à la violence des ligues, et
sur avis de la majorité de son Conseil, Louis, le 19 mars de cette année 1315,
c’est-à-dire après trois mois et demi de règne, signa la charte aux seigneurs
normands, qui allait être suivie presque aussitôt des chartes aux
Languedociens, aux Bourguignons, aux Champenois, aux Picards, la dernière intéressant
tout particulièrement le comte de Valois et Robert d’Artois. Ces édits
effaçaient toutes les dispositions, scandaleuses aux yeux des privilégiés, par
lesquelles Philippe le Bel avait interdit les tournois, guerres privées et
gages de bataille. Il était à nouveau permis aux gentilshommes « de
guerroyer les uns aux autres, chevaucher, aller, venir et porter les
armes »… Autrement dit, la noblesse française retrouvait son droit
ancestral et chéri à se ruiner en vraies ou fausses batailles, à se massacrer,
et à ravager à l’occasion le royaume pour vider des querelles de personnes.
Quel souverain monstrueux, en vérité, et dont la mémoire méritait d’être
honnie, que celui qui pendant trente ans l’avait privée de ces honnêtes
passe-temps !
Également, les seigneurs
redevenaient libres de distribuer des terres et de se créer de nouveaux
vassaux, donc souvent de nouveaux profits, sans avoir à en référer au roi. Pour
tout litige, les nobles ne devaient désormais comparaître que devant des
juridictions nobles. Les sergents et prévôts du roi ne pouvaient plus arrêter
les délinquants ou les citer en justice sans en référer d’abord au seigneur du
lieu. Les bourgeois et paysans libres n’étaient plus autorisés, sauf en
quelques cas exceptionnels, à sortir des terres des seigneurs pour venir se
réclamer de la justice du roi. Relativement aux subsides militaires et aux
levées de troupes, les barons reprenaient une espèce d’indépendance qui leur
permettait de décider s’ils voulaient ou non participer aux guerres nationales,
et, dans l’affirmative, combien ils souhaitaient se faire payer.
Marigny parvint à faire inscrire à
la fin de ces chartes une formule vague concernant la suprême autorité royale
et tout ce qui « d’ancienne coutume appartenait au souverain prince et à
nul autre ». Cette formule de droit laissait la possibilité à un monarque
fort de reprendre pièce par pièce tout ce qui venait d’être cédé. Valois
pourtant y consentit, car pour lui, lorsqu’on disait « anciennes
coutumes », il entendait « Saint Louis ». Mais Marigny
nourrissait peu d’illusions ; en esprit comme en fait, c’étaient toutes
les institutions du Roi de fer qui s’effondraient. Marigny sortit de ce conseil
du 19 mars en déclarant qu’on y avait creusé le lit pour de grands troubles.
Dans le même temps, la convocation
des prévôts, trésoriers et receveurs fut enfin décidée ; on expédia, dans
tous les bailliages et sénéchaussées, des enquêteurs officiels qu’on appela des
« réformateurs », mais sans leur accorder les délais convenables à
une inspection sérieuse, puisque la réunion était fixée au milieu du mois
suivant ; et comme on cherchait un lieu où tenir cette assemblée, Charles
de Valois proposa Vincennes, en souvenir de Saint Louis.
Donc, au jour dit, Louis Hutin, ses
pairs, ses barons, les dignitaires et principaux officiers de la couronne, les
membres du Conseil et de la Chambre des Comptes, se rendirent en grand équipage
au manoir de Vincennes. Cette belle chevauchée attira les gens sur le pas des
portes ; les gamins suivaient en criant : « Vive le Roi ! »
dans l’espoir de recevoir une poignée de dragées. Le bruit s’était répandu que
le roi allait juger les receveurs d’impôts, et rien, à défaut de pain, ne
pouvait davantage satisfaire le peuple.
Le temps d’avril était doux avec des
nuages légers qui couraient dans le ciel au-dessus des chênes de la
forêt ; un vrai temps de printemps qui redonnait espérance. Si la
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