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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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disette
continuait de sévir, au moins en avait-on fini du froid, et l’on se disait que
la récolte prochaine serait bonne, si les saints de glace ne tuaient pas les
blés nouveaux.
    À proximité du manoir royal, une
immense tente avait été dressée, comme pour quelque fête ou grand mariage, et
deux cents receveurs, trésoriers et prévôts s’y tenaient alignés, les uns sur
des bancs de bois, les autres par terre, assis en tailleur.
    Sous un dais brodé aux armes de
France, le jeune roi, couronne en tête, sceptre en main, vint occuper son
faudesteuil, sorte de pliant hérité du siège curule et qui, depuis les origines
de la monarchie française, servait de trône au souverain en déplacement. Les
accoudoirs du faudesteuil de Louis X étaient sculptés de têtes de
lévriers, et le fond garni d’un coussin de soie rouge.
    Pairs et barons prirent place de
part et d’autre du roi, et les conseillers aux Comptes s’installèrent derrière
de longues tables posées sur des tréteaux. Les fonctionnaires royaux, portant
leurs registres, furent alors appelés, en même temps que les réformateurs qui
avaient circulé dans leurs circonscriptions respectives. Pour hâtives qu’aient
été les enquêtes, elles avaient quand même permis de recueillir bon nombre de
dénonciations locales dont la plupart se trouvèrent rapidement avérées. Presque
tous les comptes présentaient des traces de gaspillages, d’abus et de
malversations, surtout dans les derniers mois, surtout depuis la mort de
Philippe le Bel, surtout depuis qu’on avait sapé l’autorité de Marigny.
    Les barons commençaient à murmurer,
comme s’ils eussent tous été eux-mêmes des parangons d’honnêteté, ou comme si
les dilapidations eussent atteint leurs biens propres. La peur gagnait les
rangs des fonctionnaires, et certains de ceux-ci préférèrent disparaître
subrepticement par le fond de la tente, repoussant à plus tard de s’expliquer.
Quand on arriva aux prévôts et receveurs des régions de Montfort-Amaury,
Dourdan et Dreux, sur lesquels Tolomei avait fourni aux réformateurs des
éléments fort précis d’accusation, il se fit autour du roi une très vite
agitation. Mais le plus indigné de tous les seigneurs, celui qui le plus haut
laissa éclater sa colère, fut Marigny. Sa voix couvrit toutes les voix, et il
s’adressa à ses subordonnés avec une violence qui leur fit courber le dos. Il
exigeait des restitutions, promettait des châtiments. Monseigneur de Valois, se
levant, lui coupa soudain la parole.
    — C’est beau rôle que vous
jouez là devant nous, messire Enguerrand, s’écria-t-il ; mais il ne sert à
rien de tonner si fort au nez de ces coquins, car ils sont hommes que vous avez
mis en place, dévoués à vous, et tout dénonce que vous avez partagé avec eux.
    Un si profond silence suivit cette
accusation publique qu’on put entendre un coq chanter dans la campagne. Le
Hutin, visiblement surpris, regardait de droite et de gauche. Chacun retenait
son souffle, car Marigny marchait sur Charles de Valois.
    — Messire, répondit-il d’une
voix rauque, s’il se trouve en toute cette chiennaille…
    Il désignait de la main ouverte
l’assemblée des prévôts.
    — … s’il se trouve un
seul, parmi ces mauvais serviteurs du royaume, pour affirmer en conscience et
jurer sur la foi qu’il m’a soudoyé en quelque manière, ou remis le moindre
profit de ses recettes, je veux qu’il approche.
    Alors, poussé par la grande patte de
Robert d’Artois, on vit s’avancer le prévôt de Montfort, dont les comptes
étaient en cours d’examen.
    — Qu’avez-vous à dire ?
Vous venez chercher votre corde ? lui lança Marigny.
    Tout tremblant, sa face ronde
marquée d’une tache lie de vin, le prévôt restait muet. Pourtant, il avait été
bien endoctriné, par Guccio d’abord, puis par Robert d’Artois qui, la veille,
lui avait promis qu’il échapperait à tout châtiment, à condition de témoigner
contre Marigny.
    — Alors, qu’avez-vous à
dire ? demanda à son tour le comte de Valois. Ne craignez point d’avouer
la vérité, car notre bien-aimé roi est là pour l’entendre, et rendre sa justice.
    Portefruit mit un genou en terre
devant Louis X et, croisant ses bras courts, prononça :
    — Sire, je suis un grand
fautif ; mais j’y ai été obligé par le commis de Monseigneur de Marigny,
qui me réclamait chaque année le quart des tailles, pour le compte de

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