La Reine étranglée
son
maître.
— Quel commis ? Nommez-le,
et qu’il comparaisse ! cria Enguerrand. Quelles sommes lui avez-vous
baillées ?
Le prévôt alors se démonta, chose
qu’auraient pu prévoir ceux qui l’employaient, car il était douteux qu’un homme
qui avait perdu pied devant Guccio ne s’effondrât point en présence de Marigny.
Il prononça le nom d’un commis mort depuis cinq ans, s’enferra en citant un
autre complice, mais qui se trouvait appartenir à la maison du comte de Dreux
et non à celle de Marigny. Il fut tout à fait incapable d’expliquer par quelle
filière mystérieuse les fonds détournés pouvaient parvenir au recteur du
royaume. Sa déposition suait la félonie. Marigny y mit terme en disant :
— Sire, comme vous en pouvez
juger, il n’y a pas miette de vrai dans ce que bredouille cet homme. C’est un
larron qui pour se sauver répète paroles enseignées, et mal enseignées, par mes
ennemis. Qu’il me soit reproché d’avoir placé ma confiance en de tels crapauds
dont la déshonnêteté vient d’éclater ; qu’il me soit reproché ma faiblesse
de n’en avoir point fait rouer une bonne douzaine, je souscrirai à la semonce,
encore que depuis quatre mois on m’ait beaucoup ôté les moyens d’agir sur eux.
Mais qu’on ne me fasse pas grief de vol. C’est la seconde fois que messire de
Valois s’y autorise, et cette fois je ne le tolérerai plus.
Seigneurs et magistrats comprirent
alors que la grande querelle allait enfin se vider.
Dramatique, une main sur le cœur,
l’autre pointée vers Marigny, Valois répliquait, s’adressant au roi :
— Sire mon neveu, nous sommes
trompés par un méchant homme qui n’est que trop resté au milieu de nous, et
dont les méfaits ont attiré sur notre maison la malédiction. C’est lui qui est
cause des extorsions dont on se plaint et qui, pour de l’argent qu’on lui a donné,
a fait, à la honte du royaume, obtenir plusieurs trêves aux Flamands. Pour cela
votre père est tombé dans une tristesse telle qu’il en est trépassé avant son
temps. C’est Enguerrand qui est cause de sa mort. Pour moi, je suis prêt à
prouver qu’il est un voleur et qu’il a trahi le royaume, et si vous ne le
faites arrêter sur-le-champ, je jure Dieu que je ne paraîtrai plus à votre cour
ni dans votre Conseil.
— Vous en avez menti par la
gueule ! s’écria Marigny.
— Par Dieu, c’est vous qui
mentez, Enguerrand, répondit Valois.
La fureur les jeta l’un contre
l’autre. Ils s’empoignèrent au col ; et l’on vit ces deux princes, ces
deux buffles, dont l’un avait porté la couronne de Constantinople, dont l’autre
pouvait contempler sa statue dans la Galerie des rois, se battre, vomissant
l’injure comme des portefaix, devant toute la cour et toute l’administration du
pays.
Les barons s’étaient levés ;
les prévôts et receveurs avaient reculé, faisant tomber leurs bancs.
Louis X eut une réaction inattendue ; il se mit, sur son faudesteuil,
à tressauter de rire.
Indigné de ce rire autant que du
spectacle déshonorant qu’offraient les deux lutteurs, Philippe de Poitiers
s’avança et, d’une poigne surprenante chez un homme si maigre, il sépara les
adversaires qu’il tint éloignés au bout de ses longs bras. Marigny et Valois
haletaient, la face pourpre, les vêtements déchirés.
— Mon oncle, dit Poitiers,
comment osez-vous ? Marigny, reprenez empire sur vous-même, je vous en
donne l’ordre. Veuillez rentrer chez vous, et attendre que le calme soit revenu
en chacun.
La décision, la puissance qui
émanaient soudain de ce garçon de vingt-quatre ans s’imposèrent à des hommes
qui avaient près du double de son âge.
— Partez, Marigny, vous dis-je,
insista Philippe de Poitiers. Bouville ! Conduisez-le.
Marigny se laissa entraîner par
Bouville et gagna la sortie du manoir de Vincennes. On s’écartait devant lui
comme devant un taureau de combat qu’on cherche à ramener au toril. Valois
n’avait pas bougé de place ; il tremblait de haine et répétait :
— Je le ferai pendre ;
aussi vrai que je suis, je le ferai pendre !
Louis X avait cessé de rire.
L’intervention de son frère venait de lui infliger une leçon d’autorité. De
plus, il se rendait compte, brusquement, qu’on l’avait joué. Il se débarrassa
du sceptre dans les mains de son chambellan, et dit brutalement à Valois :
— Mon oncle, j’ai à vous
entretenir sans attendre ; veuillez me
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