Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
s’emplit les
poumons d’un grand coup d’air matinal.
    — C’est bon tout de même d’être
vivant, murmura-t-il.
    — Oui, Monseigneur, c’est bon,
répondit Lormet. Pour sûr, ça va être une belle journée de soleil.
     

VI

LE CHEMIN DE MONTFAUCON
    Malgré l’étroitesse du soupirail,
Marigny pouvait voir, entre les gros barreaux scellés en croix, le tissu
somptueux du ciel où brillaient les étoiles d’avril.
    Il ne souhaitait pas dormir. Il
épiait les rares rumeurs nocturnes de Paris, le cri des sergents du guet, le
roulement des charrettes campagnardes apportant leurs chargements à la halle
aux légumes… Cette ville dont il avait élargi les rues, embelli les édifices,
calmé les émeutes, cette ville nerveuse, où l’on sentait à tout instant battre
le pouls du royaume et qui avait été pendant seize ans au centre de ses pensées
et de ses soucis, il s’était mis, depuis deux semaines, à la haïr comme on hait
une personne.
    Ce ressentiment datait précisément
du matin où Charles de Valois, craignant que Marigny ne trouvât au Louvre des
complicités, avait décidé de le transférer à la tour du Temple. À cheval,
entouré de sergents et d’archers, Marigny, en traversant une partie de la
capitale, s’était rendu compte que le peuple, dont il ne voyait depuis tant
d’années que les nuques inclinées, le détestait. Les insultes lancées sur son
passage, l’explosion de joie dans les rues, les poings tendus, les moqueries,
les rires, les menaces de mort, tout cela avait représenté pour l’ancien
recteur du royaume un effondrement pire peut-être que son arrestation
elle-même.
    Celui qui a longtemps gouverné les
hommes, s’efforçant d’agir pour le bien général, et qui sait les peines que
cette tâche lui a coûtées, lorsqu’il s’aperçoit soudain qu’il n’a jamais été ni
aimé ni compris, mais seulement subi, connaît une immense amertume, et se prend
à s’interroger sur l’emploi qu’il a fait de sa vie.
    « Les honneurs, je les ai eus
tous, mais jamais le bonheur, car jamais je ne pensais avoir parfait mon
labeur. Valait-il d’œuvrer autant pour des gens qui me tenaient en si grande
aversion ? »
    La suite n’était pas moins affreuse.
Enguerrand avait été ramené à Vincennes, non plus cette fois pour siéger parmi
les dignitaires, mais pour comparaître devant un tribunal de barons et de
prélats, et entendre le clerc Jean d’Asnières, dans l’office de procureur,
faire lecture de l’acte d’accusation.
    —  Non nobis, Domine, non
nobis, sed nomini tuo [15] …,
s’était écrié Jean d’Asnières en commençant.
    Au nom du Seigneur, il retenait
contre Marigny quarante et un chefs d’accusation : concussion, trahison,
prévarication, rapports secrets avec les ennemis du royaume, tous griefs fondés
sur d’étranges assertions. Il était reproché à Marigny d’avoir fait pleurer de
chagrin le roi Philippe le Bel, d’avoir trompé Monseigneur de Valois sur
l’estimation de la terre de Gaillefontaine, d’avoir été vu parlant seul à seul,
au milieu d’un champ, avec Louis de Nevers, fils du comte de Flandre…
    Enguerrand avait demandé la
parole ; elle lui avait été refusée. Il avait réclamé le gage de
bataille ; refusé également. On le déclarait coupable sans même le laisser
se défendre, et c’était tout juste comme si l’on jugeait un mort.
    Or, parmi les membres du tribunal se
trouvait Jean de Marigny. Enguerrand ne pouvait que trop facilement imaginer
l’ignoble marché conclu par son frère pour conserver l’archidiocèse qu’il lui
avait obtenu ! Tout le temps de ce procès sans débat, Enguerrand cherchait
le regard de son cadet ; mais il ne rencontra qu’un visage impassible, des
yeux détournés, et de belles mains qui lissaient d’un geste lent les rubans
d’une croix pectorale.
    — Me regarderas-tu,
Judas ? Me regarderas-tu, Caïn ? grommelait Enguerrand.
    Si même son frère se rangeait avec
un tel cynisme au nombre de ses accusateurs, comment attendre de quiconque un
geste de loyauté ou de gratitude ?
    Ni le comte de Poitiers, ni le comte
d’Évreux ne siégeaient, ne pouvant manifester que par l’absence leur
réprobation pour cette parodie de justice.
    Les huées populaires avaient de
nouveau accompagné Marigny, sur son trajet de retour de Vincennes au Temple où,
cette fois, les fers aux pieds, il s’était vu enfermer dans le même cachot qui
avait servi pour Jacques de

Weitere Kostenlose Bücher