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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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aurait-elle pris tant de
précaution pour avancer ? À moins que… Blanche n’était pas devenue folle
subitement…
    « Blanche ! » répéta
Marguerite d’une voix angoissée.
    Le silence retomba, et Marguerite à
un moment pensa que sa fièvre inventait des présences. Mais, l’instant d’après,
elle entendit le même souffle retenu, plus près, et un très léger crissement
sur le sol, comme celui que produisent les ongles d’un chien. On respirait à
côté d’elle. C’était peut-être vraiment un chien, le chien de Bersumée entré sur
les pas de son maître et oublié là. Ou bien des rats… les rats avec leurs
petits pas d’hommes, leurs frôlements, leurs complots affairés, leur manière
étrange de travailler la nuit à de mystérieuses tâches. À plusieurs reprises,
les rats étaient apparus dans la tour, et Bersumée avait amené son chien,
justement, pour les tuer. Mais on n’entend pas les rats respirer.
    Elle se dressa brusquement sur sa
couche, le cœur affolé ; un objet de métal, arme ou boucle, venait de
racler la pierre du mur. Les yeux désespérément ouverts, Marguerite
interrogeait les ténèbres autour d’elle.
    — Qui est là ?
cria-t-elle.
    De nouveau ce fut le silence. Mais
elle savait à présent qu’elle n’était pas seule. Elle retenait elle aussi,
inutilement, sa respiration. Une angoisse comme jamais elle n’en avait ressenti
l’étreignait. Elle allait mourir dans quelques instants ; elle en avait
l’intolérable certitude ; et l’horreur qu’elle éprouvait dans cette
attente de l’inadmissible se doublait de l’horreur de ne savoir comment elle
allait mourir, ni en quelle place son corps allait être frappé, ni quelle était
la présence invisible qui s’approchait d’elle le long du mur.
    Une forme ronde, un peu plus noire
que la nuit, heurta soudain le lit. Marguerite poussa un hurlement que Blanche
de Bourgogne, à l’étage au-dessus, perçut à travers les pierres et qu’elle se
souviendrait toujours d’avoir entendu. Le cri fut tranché court.
    Deux mains avaient rabattu le drap
sur la bouche de Marguerite, et le tordaient autour de sa gorge. Le crâne
maintenu contre une épaisse poitrine, les bras battant l’air et tout le corps
luttant pour tenter de se délivrer, Marguerite râlait à bruits étouffés.
L’étoffe qui lui emprisonnait le cou se resserrait comme un collier de plomb
brûlant. La reine suffoquait. Ses yeux s’emplirent de feu ; d’énormes
cloches de bronze se mirent à battre dans ses tempes. Mais le tueur possédait
un tour de main bien à lui ; la corde des cloches se cassa brusquement, et
Marguerite tomba dans le gouffre obscur, sans parois et sans terme.
    Quelques minutes plus tard, dans la
cour de Château-Gaillard, Robert d’Artois, qui gagnait du temps en buvant un
gobelet de vin avec ses écuyers, vit Lormet s’approcher de lui et feindre de
sangler son cheval. Les torches avaient été éteintes ; le jour allait
poindre. Hommes et montures flottaient dans une brume grise.
    — C’est fait, Monseigneur,
murmura Lormet.
    — Point de traces ?
demanda Robert à voix basse.
    — Je ne pense pas, Monseigneur.
La face ne sera pas noire ; j’ai rompu les os du col. Et j’ai remis le lit
en ordre.
    — Cela n’était point travail
aisé.
    — Vous savez bien que je suis
comme les chouettes, Monseigneur ; j’y vois la nuit.
    D’Artois, s’étant hissé en selle,
appela Bersumée.
    — J’ai trouvé Madame Marguerite
bien mal en point, lui dit-il. Je crains fort, à voir son état, qu’elle ne dure
pas la semaine. Si elle venait à trépasser, voici les ordres : tu cours à
Paris sans autre allure que le galop, et tu te présentes tout droit chez
Monseigneur de Valois, pour lui apprendre la nouvelle à lui le premier, et à
lui seul. Chez Monseigneur de Valois, tu m’as bien entendu. Tâche cette fois à
ne pas te tromper d’adresse, et sache clore ton bec. Rappelle-toi que ton
Monseigneur de Marigny est en prison, et que tu pourrais bien avoir une place
dans la fournée qui s’apprête pour les potences du roi.
    L’aube commençait à paraître
derrière la forêt des Andelys, soulignant d’une mince lueur, entre le gris et
le rosé, l’horizon des arbres. En bas, le fleuve miroitait faiblement.
    Robert d’Artois, descendant de la
falaise de Château-Gaillard, sentait sous lui les mouvements réguliers de son
cheval dont les flancs tièdes frémissaient contre ses bottes. Il

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