La Reine Sanglante
être tout à l’heure à la Tour de Nesle ne vous trahit pas peut-être !… »
Le roi marcha sur Stragildo.
« Tu dis qu’une femme doit se rendre à la Tour de Nesle ?
– Oui, Sire. Je le dis. Mais c’est tout ce que je puis dire, et, ajouta-t-il avec un sourire sinistre, il me semble que c’est assez.
– Qui est cette femme ?
– Le roi la verra. Moi, je ne l’ai pas vue.
– Est-ce celle qui me trahit ?
– Le roi l’entendra. Moi, je ne sais pas si elle trahit.
– Que sais-tu, alors ? dit Louis en respirant avec effort.
– Seulement ceci : cette femme sera ce soir à la Tour de Nesle. Si le roi veut aller à la tour, il verra et entendra. Le roi devra se faire accompagner d’une bonne douzaine d’hommes d’armes solides et bien armés. Cela est indispensable, Sire ! Le roi et ses hommes se tiendraient, dans une heure, je suppose, à l’angle de l’hôtel de Nesle. Il y a là un renfoncement suffisant pour cacher une quinzaine d’hommes. Et, à la minute voulue, moi-même, je viendrais prévenir le roi. Une minute avant, ce serait trop tôt et le roi ne verrait rien. Une minute après, ce serait trop tard. Voilà ce que je voulais dire. Maintenant, si j’ai mal fait d’être fidèle et dévoué, le roi peut me faire mourir, c’est son droit. »
Longtemps Louis demeura pensif.
Enfin un profond soupir gonfla sa poitrine, et doucement il dit :
« Va-t’en. À l’heure que tu dis, à l’endroit que tu dis, vient me prévenir. »
XXVII
LA TOUR DE NESLE
En sortant de la rue Froidmantel, Buridan s’était remis en route à pas rapides, suivi de ses compagnons. Guillaume, Riquet et Lancelot ne laissaient pas d’être fort inquiets. Certes, ces dignes compagnons ne redoutaient aucune aventure qui pouvait survenir. Où les entraînait Buridan ? Vers quelles batailles ? Vers quelle lutte suprême où ils laisseraient leurs os ? Tout cela ne faisait pas question pour eux. Ils avaient dans le jeune homme une confiance illimitée.
Buridan n’allait pas au Temple, mais près du Temple. Ce fut, en effet, devant la Courtille-aux-Roses qu’il s’arrêta.
« Allons, murmura Bigorne, l’idée n’est pas mauvaise, et je m’étonne qu’elle ne me soit pas venue. Pour un âne bachelier, le sire Buridan ne raisonne pas trop mal, vu qu’il raisonne presque aussi bien que moi. Du diable si jamais personne songera à venir nous dénicher ici ! »
Buridan avait essayé de pousser la porte, mais elle était fermée.
Il franchit donc lestement le mur de clôture et ses compagnons l’imitèrent.
La porte de la maison n’était que fermée au loquet. Ils purent donc entrer aisément sans avoir recours à l’effraction.
Le cœur de Buridan lui battit bien fort lorsqu’il pénétra dans cette pièce si gaie, si jolie, où il avait fait de si beaux rêves.
Sa pensée, à ce moment, fut toute pour Myrtille. Mais la jeune fille était en sûreté dans le village de Montmartre, sous la garde et la protection de la mère du jeune homme. Ce fut donc sans inquiétude et seulement avec de l’amour qu’il reporta vers elle sa pensée.
Le jour, à ce moment, commençait à poindre.
Buridan ne connaissait bien de ce logis que cette pièce où il se trouvait et où si souvent Gillonne l’avait introduit. Mais aux lueurs de l’aube. Bigorne, sans perdre de temps, avait commencé à explorer la maison. Non seulement elle était complètement inhabitée, mais encore il était évident que nul n’y était venu depuis longtemps.
Bigorne monta jusqu’en haut et força la dernière porte à laquelle il aboutit.
Elle ouvrait sur un grenier.
Le grenier avait deux ouvertures : une lucarne sur la route et une autre sur le jardin de derrière. C’était un admirable poste d’observation et Bigorne, d’autorité, décida qu’on s’installerait dans ce grenier, où, en cas d’alerte, on pouvait, au besoin, se défendre et soutenir un siège. Il descendit donc dans les chambres du premier, retira quatre matelas des lits qu’il y trouva, les monta et les disposa dans le grenier.
Puis il monta des sièges, puis enfin une petite table, et le grenier se trouva ainsi transformé en une pièce habitable.
Quant à Buridan, il avait tiré de dessous son vêtement les papiers que Tristan lui avait remis et les lisait avidement.
Il songeait à cette tentative qu’il allait faire pour sauver le père de Myrtille.
Il songeait à ce rendez-vous qu’il avait donné à la reine
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