La Reine Sanglante
et se demandait :
« Viendra-t-elle ?… Si elle vient, armé de ces parchemins, je puis tout sur elle, et le sire de Marigny est sauvé. Mais viendra-t-elle ? »
Le jour s’était tout à fait levé.
À ce moment, Guillaume et Riquet revenaient de leur exploration. Bigorne, de son côté, apparaissait en disant :
« J’ai préparé un superbe logement pour nous quatre : des matelas dans le grenier.
– Bah ! fit Guillaume, pourquoi coucher sur des matelas, alors qu’il y a des lits ? »
Bigorne haussa les épaules et s’apprêtait à démontrer la nécessité de s’installer dans le grenier refuge et poste d’observation, lorsque Riquet poussa un cri.
Il venait d’ouvrir un bahut et d’y découvrir un grand pâté, du pain et quelques flacons, enfin des provisions qui, de toute évidence, étaient là depuis peu de temps, depuis quelques heures à peine.
« Ah ! ah ! fit Guillaume, les yeux écarquillés.
– Oui ! dit Buridan, mais cela prouve que de temps à autre il vient ici quelqu’un. Nous devons donc nous tenir sur nos gardes. Au grenier, au grenier !
– Soit ! fit Riquet, mais non sans emporter ces provisions. Nous sommes tout au moins assurés de ne pas mourir aujourd’hui. »
Quelques instants plus tard, les quatre compagnons étaient installés dans le grenier, et la marche leur ayant aiguisé l’appétit, les provisions que Bigorne traita de miraculeuses ne tardèrent pas à disparaître. Puis, comme ils venaient de passer une nuit blanche, comme le soir de cette journée leur ménageait sans doute des fatigues, ils s’étendirent chacun sur un matelas et s’endormirent.
Ces provisions que Riquet venait de trouver dans le bahut n’étaient nullement miraculeuses.
Quelqu’un venait à la Courtille-aux-Roses. Et qui était ce quelqu’un, nos lecteurs le sauront bientôt.
Vers le soir, les quatre compagnons se réveillèrent l’un après l’autre, bien reposés, bien dispos.
L’heure du départ arriva enfin.
Il fut convenu, malgré toutes les objections qu’on pût faire à ce plan émis par Buridan, il fut entendu, disons-nous, que Buridan pénétrerait seul dans la Tour de Nesle.
Guillaume, Riquet et Bigorne devaient attendre au-dehors, sur les bords du fleuve, et n’intervenir qu’en cas d’appel.
On se mit en route par une nuit noire. On franchit la Seine. On aborda au pied de la Tour de Nesle. Buridan entra. Bourrasque, Riquet et Lancelot s’étaient dissimulés dans un renfoncement.
Bientôt, du haut de la plate-forme, un signe convenu leur annonça que tout allait bien et que Buridan n’avait trouvé personne dans la tour.
Les trois compères se mirent donc à surveiller le fleuve.
« Si elle vient seule, dit Bigorne, tout va bien.
– Elle ne viendra pas », grogna Guillaume.
Leur attention était donc tout entière concentrée sur le fleuve, et près d’une heure passa ainsi. À ce moment, une dizaine d’hommes à pied et marchant sans bruit débouchaient du pont, longeaient l’hôtel de Nesle et venaient se ranger dans une profonde encoignure qui était invisible pour les trois compagnons postés au bord du fleuve, non seulement à cause de la nuit profonde, mais aussi parce que la tour était placée entre eux et cette encoignure.
L’un de ces hommes se plaça un peu en avant des autres, qui demeurèrent cachés.
Celui qui s’était mis en avant, c’était le roi.
Lui aussi regardait et guettait. Son cœur palpitait. Ses yeux ardents demeuraient fixés sur le point où il entrevoyait vaguement la porte de la tour. Lui aussi se demandait :
« Viendra-t-elle ? »
Et lui aussi, peut-être, en se posant cette question, songeait à la reine !…
« La voici ! » murmura tout à coup Bigorne.
Ils ne voyaient rien encore, mais ils entendaient le bruit des rames plongeant dans l’eau. Bientôt la barque leur apparut comme un mystérieux oiseau de nuit rasant les eaux ; le silence était profond ; les trois hommes éprouvèrent une impression de crainte indéfinissable…
La barque toucha au sable.
Marguerite sauta… Un instant plus tard, elle entrait dans la tour.
À ce moment, un homme sauta à son tour de la barque et se mit à marcher vivement.
« Stragildo ! murmura Bigorne à l’oreille de Bourrasque. Restez là. Je vais surveiller ce sacripant… »
Et Bigorne se glissa à la suite de Stragildo.
Il le vit s’approcher de l’encoignure. Et lui-même, glissant, souple et léger, s’approcha
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